C’est la taille qui compte

Le grand classique dans les films de science-fiction/horreur, c’est de prendre un animal « ordinaire » – lézard, araignée, scorpion, singe – et de le transformer en monstre géant. En général après une expérience scientifique qui a mal tourné. Et en général autour de NYC, parce qu’ils ont du goût les monstres quand même.

Godzilla est l’exemple le plus connu. Dans sa récente réédition, il fait plus de cent mètres, et ça ne dérange personne. Pourtant, il y a plus de 400 ans, Galilée avait déjà fait remarquer qu’aucun animal ressemblant de près ou de loin à Godzilla ne pouvait exister. Tout simplement parce qu’un organisme de sa taille fait de chair et d’os s’écroulerait sous son propre poids.

Avant de creuser les implications de la théorie de Galilée, un petit rappel mathématique s’impose.

Pourquoi une souris n’a pas la taille d’un éléphant ?

Le poids d’un animal est proportionnel au cube de sa longueur, tandis que la force de ses membres porteurs est proportionnelle au carré de cette même longueur.

En pratique, ça donne quoi ?

Comparons deux animaux de formes identiques. L’animal A fait 3 unités de long (peu importe l’unité), et l’animal B en fait 6. Si on calcule leur poids, on obtient :

  • Poids de l’animal A = 3^3 = 27
  • Poids de l’animal B = 6^6 = 216

L’animal B pèse donc 8 fois plus que l’animal A, alors qu’il n’est que 2 fois plus grand (on notera au passage que 2^3 = 8).

Calculons maintenant la puissance de leurs membres porteurs :

  • Force de l’animal A = 3² = 9
  • Force de l’animal B = 6² = 36

B pèse donc 8 fois plus que A, mais ses jambes ne sont que 4 fois plus fortes que celles de A. Elles sont donc 2 fois moins fortes qu’elles ne devraient l’être. Par conséquent, si on suppose que A et B sont plus ou moins composés des mêmes types de tissus et d’organes, pour avoir la même puissance que A, les jambes de B doivent être deux fois plus grosses.

Un éléphant avec les jambes de la forme de celles d’une souris s’écroulerait donc sous son propre poids.

Les lois physiques dictent la taille des organismes qui nous entourent. Donc mathématiquement, un lézard de plus de 100m ne ressemblerait clairement plus à un lézard. N’en déplaise à Hollywood.

Quid des souris de laboratoire ?

Puisqu’on parle de souris, j’en viens à me demander quel est l’impact des ces effets d’échelle en médecine.

La plupart des études et de la recherche sur les maladies, les nouveaux médicaments, ou les procédures thérapeutiques sont faites sur des souris. Même si 85 % de notre génome est similaire, quand on voit la différence de taille entre l’homme et la souris, il semble difficile de pouvoir extrapoler les résultats de ces expérimentations.

Les effets d’échelle ne sont pas anodins.

Startups vs Big Companies

Scaler un produit demande de scaler les RH, ce qui est souvent très complexe et sans aucun lien avec vos compétences initiales. Concevoir un produit ou coder un logiciel est à des années lumières de manager 500 ou 1.000 personnes. Je ne parle même pas de manager 100.000 personnes (je n’ai aucune idée de ce que ça représente d’ailleurs).

Même quand les responsabilités sont déléguées, créer une culture qui promeut la confiance, la créativité, et la croissance, est une compétence totalement différente de celle nécessaire pour créer votre produit à ses débuts.

De la même manière qu’une souris géante ressemblera forcément à un éléphant, une startup géante – non, ce n’est pas un oxymore – ne peut pas ressembler à une jeune pousse.

Inutile d’essayer d’émuler Stripe ou Shopify quand vous êtes 3 péquins dans votre salon. Physiquement, ça va coincer. L’inverse est aussi vrai. Les grosses boîtes qui essaient de copier le rythme des startups se plantent toujours.

Victimes de leur succès

Trop d’argent tue l’argent

Quand un hedge fund a des retours impressionnants, les autres investisseurs le remarquent. Et ils accourent pour investir des centaines de millions dans les semaines qui suivent. Si ça semble être une bonne chose pour le hedge fund manager, en réalité, ses options à ce moment-là sont toutes médiocres :

  • Il peut garder cet argent pour les mauvais jours, mais du coup le retour total sur cash va handicaper les résultats du fond si la bourse continue de monter.
  • Il peut investir cet argent frais dans les actions qu’il possède déjà – qui ont probablement monté depuis qu’il a investi initialement – ce qui le rendra dangereusement surévaluées s’il injecte des millions en plus.
  • Il peut décider d’investir dans des actions qui ne trouvait pas assez intéressantes initialement, l’obligeant à faire plus de recherche, à repartir de zéro, et à garder un œil sur plus d’entreprises qu’il n’a l’habitude de suivre, risquant de mettre en danger l’ensemble de ses actifs.

C’est l’une des raisons pour laquelle un grand nombre des fonds les plus connus n’acceptent plus personne.

Ce qui marchait très bien avec des centaines de millions devient incroyablement mission impossible avec des centaines de milliards. Au-delà d’un certain montant, si les propriétaires du fonds en question s’en mettent plein les poches (grâce au fameux 2 and 20), les investisseurs eux, voient leurs retours baisser jusqu’à finir en-dessous de ceux du marché.

Survivre ou grandir, il faut choisir

Selon la Banque de Corée, sur les 5.586 entreprises de plus de deux cents ans en 2008, plus de la moitié (3.146 pour être précis) étaient japonaises, 837 allemandes, 222 hollandaises et 196 françaises. Jusque-là, rien d’incroyable, si ce n’est que les Américains figurent loin au classement. Ce qui mérite d’être souligné, c’est que 90% des entreprises qui avaient plus de 100 ans avaient moins de 300 employés.

À un moment sur la route, il faut choisir entre la croissance et la survie. La stratégie, c’est toujours une question de choix.

On associe souvent la taille avec le succès – que ce soit en termes de nombre d’employés, d’argent levé, de prix gagnés, d’apparitions dans les médias. Le succès, lui, est associé avec la vanité et l’orgueil, qui eux marquent souvent le début de la fin. Une boucle de feedback négative qui s’installe pour empêcher la croissance infinie.

C’est pour cette raison que les animaux les plus résistants de la planète ne sont pas des prédateurs ultimes, bien au contraire. Ils excellent dans l’air de l’évasion et du camouflage. Ils sont paranoïaques. Les grands prédateurs, les dinosaures, les éléphants, sont paradoxalement plus fragiles que les rats, les fourmis ou les cafards.

Dans la nature comme dans les affaires, il faut choisir. La croissance ou la survie. La licorne ou le cafard. Faites vos jeux.