L’art du leadership par Genghis Khan

Genghis Khan est une figure légendaire dont l’image populaire est un mélange de sauvagerie et de barbarisme. Si personne ne remet en question son extraordinaire acuité stratégique, peu connaissent sa véritable histoire. Car Genghis Khan était bien plus qu’un barbare passé maître dans l’art de la guerre. 

À sa naissance en 1162, l’ancien monde consistait en une série de civilisations régionales sans la moindre connaissance sur les civilisations voisines. Personne en Chine n’avait jamais entendu parler de l’Europe, personne en Europe n’avait jamais entendu parler de la Chine, et personne n’avait jamais fait le voyage de l’une à l’autre. À sa mort en 1227, Genghis Khan, de son vrai nom Temujin, avait connecté les deux par des relations diplomatiques et commerciales encore en vigueur aujourd’hui. Que ce soit par le nombre d’ennemis soumis, par le nombre de pays annexés, ou par la superficie totale occupée, Genghis Khan a conquis plus de deux fois plus que n’importe quel autre homme dans l’Histoire.

Jugez plutôt.

Sur une carte du monde moderne, son empire inclut trente pays, du Japon à la Hongrie, et plus de 3 milliards d’habitants. Le plus impressionnant dans tout ça ? La tribu Mongole dans son intégralité atteignait à peine le million, et son armée se limitait à cent mille soldats, moins que le nombre d’employés de certaines entreprises aujourd’hui.

Personne n’arrive à de tels résultats sans démontrer des qualités stratégiques, humaines et managériales hors du commun.

Cet article est plus une collection de notes qu’un essai structuré. Considérez le comme un plateau de tapas à la sauce mongole. L’ordre des sections est un guide plus qu’une règle, donc n’hésitez pas à sauter des paragraphes pour aller lire directement ceux qui vous font de l’œil.

I – Leadership

Ego is the enemy

Fait intéressant, il n’existe aucun portrait, aucune image de Genghis Khan. À la différence des autres conquérants de l’histoire, Genghis Khan n’a jamais autorisé quiconque à peindre son portrait ou à graver son nom sur une pièce. Les seules descriptions contemporaines que l’on a de lui sont plus intrigantes qu’informatives.

Être humble en soi n’a rien d’extraordinaire, sauf quand vous êtes le plus grand leader de tous les temps. Un sacré contraste avec Alexandre le Grand, qui se prenait pour le fils de Zeus, ou Napoléon, qui a construit l’Arc de Triomphe représentant la ville entière de Paris à ses pieds.

Fidèle aux traditions laconiques des Mongols, Temujin avait pour habitude de réprimander ses fils quand ils se voyaient trop beaux. “Si vous ne pouvez pas avaler votre fierté, vous ne pouvez pas diriger,” leur répétait-il. “Même les montagnes les plus hautes ont des animaux qui leur marchent dessus. Quand ces animaux arrivent au sommet, ils sont plus haut que la montagne elle-même.“

Soyez un récepteur, pas un transmetteur

Ne parlez jamais pour ne rien dire. Manifester vos pensée et vos opinions par le biais de vos actions, pas par vos mots. Bonus : moins vous en dites, moins vous risquez de paraître stupide. 

Les huîtres s’ouvrent complètement à la pleine Lune. Quand le crabe en voit une, il lui jette une pierre ou une algue pour l’empêcher de se refermer, et pouvoir la déguster derrière. Tel est le destin de celui qui est à la merci de celui qui l’écoute parce qu’il ouvre trop sa bouche.

Léonard de Vinci

Beaucoup d’investisseurs voient d’un mauvais œil les fondateurs qui donnent trop d’interviews – une surexposition aux médias est un mauvais signe. Elizabeth Holmes, CEO de Theranos, était la chouchou de la Silicon Valley avant sa descente aux enfers. Adam Neumann était le sujet de toutes les conversations avant que l’IPO de WeWork ne tourne au fiasco. 

Le leader idéal, c’est celui qui mériterait d’être la personnalité de l’année selon le Time Magazine, mais dont personne au Time n’a jamais entendu parler.

La tête dans les étoiles et les pieds sur Terre

Très tôt dans son règne, Genghis Khan a accompli quelque chose qu’aucune autre civilisation n’avait jamais accompli auparavant. Contrairement aux autres civilisations – notamment en Europe de l’Est, où les monarques proclamaient la loi divine – il a proclamé la suprématie de l’Etat de droit sur tous les individus. En se soumettant lui-même à cette loi, il posait les bases de ce qui allait devenir l’un des piliers de son empire : l’égalité pour tous. 

Pas besoin d’être aux commandes d’un empire militaire ou commercial pour que le succès vous monte à la tête. Rester proche de la réalité du terrain et de ses équipes est un bon moyen d’éviter ça. C’est pour cette raison que Mathilde Collin, CEO de Front, et son co-fondateur, continuent de répondre directement aux utilisateurs via le service client ou sur Twitter. Même après avoir levé 59 millions de £ pour leur série C, “aujourd’hui encore, on prend 30 min chaque semaine pour répondre à nos utilisateurs en personne.”

Du conseil d’administration au service client. De la tête dans les nuages aux mains dans le cambouis.

Patrick Collison, CEO chez Stripe et Eoghan McCabe, CEO chez Intercom en font de même. Pas une coïncidence si ces 3 startups connaissent un succès fou. C’est comme ça que vous construisez une culture positive.

Vous êtes ce que vous faites, et ça commence par la tête.

Conquérir avec le cerveau, diriger avec le cœur

Genghis Khan aimait répéter à ses fils que conquérir une armée n’est pas la même chose que conquérir une nation.

Vous pouvez conquérir une armée grâce à vos hommes et vos tactiques supérieures, mais vous ne pouvez conquérir une nation qu’en gagnant le cœur de ses habitants.

Ironie du sort, c’est son petit-fils, Kubilai Khan, qui réussira là où Genghis a échoué : conquérir et unifier la Chine en utilisant la politique plutôt que la force brute.

En construisant une capitale chinoise, en mettant en place une administration chinoise, et en adoptant un nom officiel chinois, Kubilai a pris le contrôle du pays en ayant l’air plus Chinois que les Chinois. En 1277, lorsqu’il déclare la nouvelle dynastie mongole, il confère à ses ancêtres des noms chinois à titre posthume, puis érige une série de tablettes en leur honneur, ordonnant que les portraits aient l’air de sages Mandarins plutôt que de guerriers Mongols.

C’est avec ce niveau de détails et de dévouement que vous réussirez à conquérir les cœurs. Pour que vos employés ou vos client puissent sentir qu’ils font partie de la communauté, ils doivent pouvoir s’identifier à la mission.

La population chinoise avait beau être différente des Mongols sur bien des aspects, elle a trouvé plus de points communs avec eux qu’avec les hauts dignitaires Chinois. Année après année, fonctionnaires, soldats et paysans désertèrent la cour des Sung pour aller vivre sous le régime Mongol. Puis vint le tour des marchands, des prêtres et des intellectuels. Et enfin celui de certains généraux Chinois, qui rejoignèrent les rangs mongols accompagnés de leurs régiments entiers de soldats.

II – Human after all

Les Mongols n’ont ni inventé de nouvelle technologie, ni fondé de nouvelle religion. Ils n’ont écrit que très peu de livres ou de pièces de théâtre, et ils n’ont apporté au monde aucune nouvelle culture, plante, ou méthode agricole. Leurs propres artisans ne savaient pas tisser de vêtements, pas faire fondre du métal, pas faire de poterie, et pas non plus faire du pain. Ils n’ont laissé derrière eux aucun objet en porcelaine, n’ont pas peint de tableaux et n’ont construit aucun bâtiment digne de ce nom. 

Et pourtant, au fur et à mesure que leur armée a conquis culture après culture, ils ont collecté et partagé toutes ces compétences d’une civilisation à l’autre. Ils ont recruté tous les profils dont ils ont eu besoin sur le moment, parmi leurs ennemis comme parmi les peuples conquis. 

N’embauchez pas des talents pour leur dire quoi faire. Embauchez des talents pour qu’ils vous disent quoi faire.

Genghis Khan a envahi la Chine avec 90.000 soldats et a vaincu une armée de plus d’un million. Ce n’est pas la taille de l’armée qui compte, mais comment vous l’utilisez. C’est d’autant plus vrai avec les leviers à notre disposition aujourd’hui.

L’importance des femmes

Imaginez à quel point la société serait avancée aujourd’hui si les femmes, qui représentent la moitié de la puissance cérébrale sur Terre, avaient été socialement et intellectuellement émancipées depuis le début de la civilisation.

Neil deGrasse Tyson

Si la guerre est une histoire d’hommes, ce sont les femmes mongoles qui ont permis à l’empire Mongol de devenir ce qu’il est devenu. Pendant que leurs maris se battaient aux quatre coins du monde, elles s’efforçaient de construire des monastères et des écoles, d’imprimer des livres, et de favoriser l’échange des idées et des connaissances. Après la fin de la grande guerre mongole, ce sont ces institutions qui auront le plus grand impact sur le monde, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières de l’empire.

L’écrivain Bar Hebraeus illustre parfaitement ce propos en écrivant à propos de Sorkhokhtani, la veuve du plus jeune fils de Temujin :

Si je devais voir parmi toutes les femmes une autre femme de ce calibre, je serai obligé de déclarer la gente féminine très supérieure à la gente masculine. Personne dans l’histoire de l’humanité n’a légué un empire aussi large et aussi riche que celui que Sorkhokhtani a laissé à ses fils.

Les meilleurs fondateurs/leaders ont tous des angles morts en fonction de leurs faiblesses. Une bonne culture d’entreprise est le résultat d’une relation yin/yang entre ses leaders.

Chez Apple par exemple, Steve Jobs apportait la vision maniaque, l’obsession du design et du détail. Steve Wozniak, lui, apportait la partie ingénierie et le côté chaleureux qui manquait à son partenaire. Sorkhokhtani et les femmes mongoles étaient pour Genghis Khan ce que Wozniak était pour Steve Jobs.

Diversité culturelle, géographique et cognitive

Le talent n’a pas de couleur. C’est une chose de le dire et de l’écrire dans vos valeurs sur votre site Internet, c’en est une autre de l’appliquer au quotidien. Un principe que Genghis Khan et ses descendants se sont efforcés d’appliquer toutes leurs vies.

À l’époque, dans les royaumes Musulmans et Chrétiens, les dirigeants faisaient de l’intolérance une politique d’état. Frustrée par son incapacité à conquérir la Terre Promise ou à étendre ses territoires en Europe de l’Est, l’Eglise Catholique se résigna à accentuer progressivement l’intolérance vis-a-vis des différentes religions à l’intérieur du territoire.

Un contraste saisissant avec cette anecdote racontée par Jack Weatherford, dans sa superbe biographie sur Genghis Khan :

Alors que ces hommes, vêtus de leurs tenues cérémonielles, se rassemblaient dans les tentes sur les plaines ensablées de Mongolie, ils se préparaient à effectuer ce qu’aucun autre groupe de savants et de théologues n’avaient jamais fait dans l’histoire. Jamais autant de types de Chrétiens ne s’étaient retrouvés dans un même meeting, et jamais ils n’avaient débattu, d’égal à égal, avec des représentants des différentes convictions musulmanes et bouddhistes.

Ici, le but était de débattre uniquement sur la base de leurs croyances et de leurs idées ; aucune arme ou aucun soutien de quelque leader ou armée derrière eux. Aucun côté ne semblait pouvoir convaincre les autres de quoi que ce soit.

Finalement, alors que les effets de l’alcool se faisaient de plus en plus ressentir, les Chrétiens abandonnèrent l’idée de persuader qui que ce soit avec des arguments logiques, et se mirent à changer. Les Musulmans, qui ne chantait pas, répondirent en récitant le Coran haut et fort pour noyer les chants chrétiens, et les Bouddhistes se retireront dans une méditation silencieuse.

À la fin du débat, incapable de convertir et de tuer, ils conclurent de la même façon que la plupart des célébrations mongoles, avec l’ensemble des participants trop saouls pour continuer.

III – Vous êtes ce que vous faites

Les Mongols avaient beau être de remarquables guerriers, les armes n’ont jamais été la raison de leur succès. Une technologie militaire ne reste jamais secrète bien longtemps, et ce qui fonctionne pour une des armées peut être adopté par l’ennemi après quelques affrontements. Le succès des Mongols est né de leur cohésion et de leur discipline, cultivées pendant des millénaires, et de leur loyauté sans faille envers Genghis Khan. Des ingrédients essentiels pour créer la culture idéale.

La culture est définie par vos actions. Ce n’est pas ce que vous avez l’intention de faire, ni ce que vous espérez ou ce à quoi vous aspirez. C’est ce que vous faites. 

Pour les Mongols, la culture reposait sur trois piliers principaux : la loyauté, l’inclusion, et la méritocratie. 

Loyauté > Royauté

Les Mongols avaient pour coutume de dire, “si Genghis Khan me dit de sauter dans l’eau ou dans le feu, j’y vais. J’y vais pour lui.”

Bien que les tribus des steppes à l’époque aient pour habitude de changer de camp à la moindre provocation et qu’il soit commun pour les soldats de déserter leurs leaders, aucun des généraux de Temujin ne l’a abandonné durant ses 60 années en tant que guerrier. Parmi les grands rois et conquérants de l’histoire, une telle marque de fidélité, c’est du jamais vu.

En élevant la loyauté à un principe supérieur, il a créé un avantage militaire décisif. Il était extrêmement loyal envers ses soldats, et eux-mêmes l’étaient envers lui.

Autre avantage non négligeable : Genghis Khan est mort alors qu’il approchait les 70 ans, un âge que Jules César ou Alexandre le Grand auraient rêvé d’atteindre. Quand vos supporters vous sont fidèles, vous gagnez le droit de mourir sur votre lit de camp, entouré par une famille aimante, des amis fidèles et des soldats loyaux.

Quand vous donnez aux employés ce qu’ils veulent, ils restent longtemps. Avec une ancienneté moyenne de 7 ans, l’exemple de Basecamp montre que la loyauté est encore possible malgré la tendance actuelle.

L’inclusion comme religion

Pour paraphraser Lincoln, “vous détruisez un ennemi quand vous en faites un ami”. 

Très tôt, Temujin a réalisé que le chemin vers la prospérité passait par des alliance avec les tribus rivales. Quand il est devenu Grand Khan des Mongols, il a mis en pratique sa théorie en dissolvant les différentes tribus et en les distribuant dans différentes parties de son armée. Une façon brillante de mettre fin aux querelles inter-tribus. En incorporant des hommes de chaque troupe vaincue dans son armée et en encourageant les mariages mixtes entre tribus, Genghis Khan s’est établi comme un employeur favorisant le principe de l’égalité des chances.

En plus de ça, dans ce qui est probablement la toute première loi de ce genre au monde, Genghis Khan décréta la liberté complète et totale de religion pour tous. Peu importe vos origines, votre religion ou vos croyances, Genghis Khan croyait en vous. Un principe que l’on retrouve dans sa volonté de promouvoir par le mérite, pour que les plus talentueux se retrouvent aux commandes.

Très parlant à une époque où les religions chrétiennes et musulmanes étaient notoirement intolérantes.

Méritocratie

Les tragédies que sa famille a endurées semblent avoir instillé en lui une profonde détermination à défier la stricte structure de castes des steppes, à prendre en main son destin, et à ne faire compter que sur des alliances avec des associés de confiance, plutôt que sa famille ou sa tribu, comme base principale de support. Plus tard, Temujin jugera les autres principalement par leurs actions envers lui, sans tenir compte de ses liens familiaux, un concept révolutionnaire dans la société des steppes. Un concept qui lui vaudra une loyauté sans faille de ses partisans.

Dès son arrivée au pouvoir, Temujin assigna des dizaines de responsabilités à ses suiveurs selon leurs aptitudes et leur loyauté, sans jamais tenir compte de leur filiation. Il donna les positions les plus importantes, ses assistants personnels, à ses deux followers, Boorchu et Jelme, qui avaient fait preuve d’une loyauté sans faille envers lui pendant plus d’une décennie. Si Genghis Khan attendait de ses soldats une obéissance totale sur le champ de bataille, même les troufions les moins gradés avaient leur mot à dire au moment du khuriltai, le conseil traditionnel mongol.

Un bon moyen d’éviter la pensée de groupe et de s’assurer que la meilleure idée gagne.

IV – Incitations

Personne n’est au-dessus des lois

L’idée de jouer sa peau, remis au goût du jour par Nassim Taleb, était omniprésent dans les tribus des steppes. Si Genghis Khan a pu tenir tout ce beau monde en ordre pendant si longtemps, c’est parce qu’il avait le don de supprimer les asymétries présentes dans toutes les civilisations de l’époque.

En même temps qu’il détruisait le système féodal des privilèges aristocratiques et de naissance, il construisait un système unique basé sur le mérite individuel, la loyauté et les résultats. À une époque où la plupart des dirigeants se considéraient au-dessus de la loi, Genghis Khan insista pour que la loi tienne les dirigeants aussi responsables que le membre le moins gradé de sa tribu.

Il a baissé les impôts pour tout le monde, et les a même abolis pour les docteurs, les professeurs, les prêtres et les institutions éducatives. Son empire n’était pas connu pour thésauriser la richesse et les trésors ; au contraire, il distribuait les biens acquis au combat pour qu’ils puissent refaire surface dans le commerce.

Des incitations fortes

Fin meneur d’hommes, Genghis Khan a vite compris qu’on ne convainc pas quelqu’un en faisant appel à sa raison, mais à ses intérêts. Grâce à un système d’incitations fortes. Ça explique notamment pourquoi ses soldats devaient porter une armure en cuir épaisse à l’avant, mais très fine dans le dos. Pour éviter qu’ils ne soient tentés de s’enfuir.

Dans une autre innovation, il ordonna que la part du butin d’un soldat soit allouée à chaque veuve et chaque orphelin que le soldat mort laissait derrière lui. Cette politique eut un effet profond sur les soldats. Non seulement elle lui assurait le soutien des membres les plus pauvres de la tribu, mais elle inspirait aussi la loyauté de ses soldats, qui savaient que Genghis Khan prendrait soin de leurs familles s’ils tombaient au combat.

Il n’était pas du genre à dire des paroles en l’air. Certains de ses suiveurs ignorèrent cet ordre contre le pillage individuel, et Temujin démontra à quel point il était sérieux à propos de cette réforme en leur infligeant un châtiment sévère mais approprié. Il déposséda ces hommes de toutes leurs possessions et les priva de tout bien saisi pendant la campagne.

Attention à ce que vous mesurez

Dans cet exemple, c’est encore une fois Kubilai Khan qui nous intéresse. Pour faciliter la rapidité et la sécurité du commerce à travers l’empire, Kubilai a radicalement étendu l’utilisation de la monnaie fiduciaire au sein de l’empire. Au moment où Marco Polo arrive en Mongolie, le système tourne à plein régime.

Mais qui dit monnaie de papier, dit opportunités supplémentaires pour le crédit et les désastres financiers. Pour réguler les marchés, notamment l’extension de crédit, la loi mongole autorisait les déclarations de banqueroute – une importance innovation à l’époque – mais aucun marchand ou client n’était autorisé à faire faillite plus plus de deux fois pour éviter de payer ses dettes. Pour éviter les abus, la troisième fois, ils risquaient la peine capitale.

Quand vous mesurer une métrique, surveillez aussi son opposée. Dans une usine, mesurez le nombre de pièces qui sortent chaque jour, mais aussi votre taux de rebut. Inversement, si vous mesurez votre pourcentage de pièces défectueuses qui passent le contrôle qualité, vérifiez aussi que vos délais sont toujours tenus (une service qualité qui fait du zèle clashe souvent avec la logistique qui doit livrer des pièces au client).

Si vous mesurez l’efficacité de votre service client sur le nombre de tickets répondus, pensez aussi à jeter un œil sur le taux de satisfaction client, ou sur votre score NPS.

V – Quand tout le monde va à droite, tournez à gauche

Une startup se doit d’être différente par nature. Laissez tomber les benchmarks et les best practices. Pour obtenir des résultats extraordinaires, vous ne pouvez pas faire comme tout le monde.

Il ne s’agit pas d’être le meilleur, mais d’être unique. D’être contrarian.

De ce côté là, Genghis Khan ne déçoit pas. L’armée mongole a accompli en deux ans ce que les Croisés à l’ouest ou les Turcs Seldjoukides à l’est n’ont pas réussi à faire en deux siècles d’affrontements incessants. Aucune autre armée non musulmanes ne réussira de nouveau à conquérir Bagdad ou l’Irak avant l’arrivée des anglais et américains en 2003.

Ce n’est pas en copiant ce que faisaient les autres autour de lui que Genghis Khan a réussi autant d’exploits uniques.

i) Une approche différente du combat

De tout temps, les guerriers ont appris à mourir pour leur leader, mais Genghis Khan n’a jamais demandé à ses hommes de mourir pour lui. Au contraire, il faisait la guerre avec un but précis en tête : préserver la vie Mongole à tout prix. À la différence des autres généraux et empereurs de l’histoire, qui n’avaient aucun scrupule à envoyer des milliers de soldats à leur mort, Genghis Khan n’aurait jamais volontairement sacrifié l’un d’entre eux.

ii) Une armée pas comme les autres

Le mouvement et la formation de l’armée Mongole étaient déterminés par deux facteurs qui les différencie clairement de n’importe quelle autre armée des civilisations traditionnelles.

Premièrement, l’armée Mongole était uniquement composée de cavalerie, sans infanterie. Alors que l’infanterie compose la majorité des soldats de n’importe quelle autre armée. Environ 65.000 cavaliers Mongols partirent pour la campagne contre les Jurchen pour aller se battre contre une armée composée du même nombre de cavaliers, ainsi que de 85.000 fantassins, donnant un avantage de deux contre un en faveur des Jurchen, qui sacrifiaient par contre leur mobilité.

La seconde caractéristique de l’armée Mongole est qu’elle voyageait sans train de ravitaillement encombrant autre que leur réserve de chevaux qui accompagnait toujours les soldats. Pendant qu’ils se déplaçaient, ils trayaient les animaux, les abattaient pour la nourriture, et ses nourrissent de la chasse et du pillage. Marco Polo présumait qu’ils pouvaient voyager pendant 10 jours sans jamais s’arrêter pour faire chauffer la nourriture, qu’ils buvaient le sang des chevaux, que chaque homme transportait 5 kg de pâte de lait séchée, versant une livre dans une flasque d’eau chaque jour en guise de repas. Chaque guerrier transportait aussi des morceaux de viande séchée et du lait caillé qu’ils pouvaient mâcher tout en restant sur leur monture ; et quand il obtenait de la viande fraîche, mais qu’il n’avait pas le temps de cuisiner, il mettait la chair crue sous sa selle pour la ramollir et la rendre comestible.

Comme pour les startups face aux grosses entreprises aujourd’hui, la vitesse et la mobilité sont la raison de la domination mongole face aux larges armées qui peinaient à se déplacer.

VI – Move fast…

Si les Mongols inspiraient la terreur partout où ils passaient, ce n’était pas à cause de la férocité ou de la cruauté de leurs actes, bien pâles en comparaison avec les armées soit disant civilisées de cette ère. En plus de leur dédain total pour les vies des riches et des puissants, c’est la rapidité et l’efficacité de leurs conquêtes qui effrayaient les gens.

Cette rapidité faisait partie intégrante de leur culture, jusque dans leur façon de se déplacer.

À la différence de presque toutes les armées majeures de l’histoire, les Mongols voyageaient léger, sans convoi de ravitaillement. En attendant les mois les plus froids avant de traverser le désert, les hommes comme les chevaux avaient besoin de moins d’eau. De la rosée se formait aussi pendant cette saison, stimulant la croissance de l’herbe servant de pâturage pour les chevaux, et attirant le gibier que les hommes chassaient pour se nourrir. Au lieu de transporter des machines de siège lentes et des équipements lourds avec eux, les Mongols ont créé un corps d’ingénieurs rapide et mobile pouvant construire tout ce dont ils avaient besoin à partir des matériaux disponibles sur place. Dès que les Mongols rencontraient les premiers arbres juste après avoir traversé le désert, ils les coupaient pour en faire des échelles ou des machines de siège.

Sur le champ de bataille comme dans le monde des affaires, la vitesse est l’arme ultime. Toute chose égale par ailleurs, l’entreprise qui exécute le plus rapidement dominera le marché.

À l’instar des startups venant disrupter les dinosaures de notre monde, la rapidité et l’agilité des Mongols ont rendu les chevaliers lourdement armés d’Europe médiévale obsolètes. Plutôt que de se reposer sur des fortifications défensives, ils utilisaient brillamment la vitesse et la surprise sur le champ de bataille. Genghis Khan a d’ailleurs perfectionné la guerre de siège à un tel niveau qu’il a mis fin au règne des villes fortifiées à lui seul.

… break things

Contrairement aux généraux qui ont grandi dans des villes et ont eu accès à des techniques de siège vieilles de plusieurs siècles, Genghis Khan a dû inventer ses propres méthodes. Il a commencé par assimiler les tactiques les plus simples, comme le fait de couper l’accès de ses ennemis aux réserves de nourritures environnantes, puis il est passé aux méthodes moins orthodoxe. Comme lorsqu’il a détourné un bras du Fleuve Jaune pour inonder la capitale fortifiée Tangut. Malgré leurs compétences en ingénierie, les Mongols ont réussi à détourner le fleuve, mais ils ont décimé leur camp au lieu de celui des Tangut.

L’échec est un excellent professeur. Vous ne pouvez pas prendre de risques si vous avez peur d’échouer. Le seul impératif, c’est d’apprendre de ses erreurs.

Apprentissage = échec + réflexion

C’est exactement ce qui s’est passé ici. Genghis Khan apprit de cet épisode et finit par conquérir la ville. Plus tard, les Mongols utilisèrent cette méthode de nouveau, devenant à chaque fois plus adeptes et la rendant de plus en plus efficace. Les guerriers Mongols ont vaincu chaque armée, capturé chaque forteresse et fait tomber les murs de chaque ville qui se sont dressé devant eux.

Prendre des risques, expérimenter, échouer, recommencer – c’est la seule façon d’innover.

VII – Innovation

Genghis Khan, nomade illettré, était un génie à plus d’un titre. Tout ce qu’il a accompli est d’autant plus remarquable quand on repense à son enfance difficile, là où les autres conquérants de l’histoire ont tous reçu une instruction et une éducation supérieure – Alexandre le Grand par Aristote, Jules César par tout le canon de la Grèce antique, et Napoléon par les Lumières et le mouvement romantique.

Ça ne l’aura pas empêché de passer maître dans l’art de l’innovation, comme en témoigne ces quatre principes fondamentaux :

1. Détruire pour mieux créer

Les Mongols ont ouvert le monde à un nouveau type de commerce, pour les biens, mais aussi les idées et la connaissance. Leur plus grand impact vient de la façon qu’ils avaient à choisir et à combiner les technologies pour créer des hybrides inhabituels. 

Entre 1242 et 1293, l’expansion Mongol atteignait son maximum, et quatre batailles marquèrent les frontières extérieures du monde Mongol – la Pologne, l’Égypte, Java et le Japon. Après avoir souffert des conquêtes dévastatrices et des ajustements radicaux à un régime très différent, la zone délimitée par ces quatre pays allait profiter d’un siècle de paix politique avec une explosion commerciale, technologique, et intellectuelle sans précédent dans l’histoire. Dans chaque pays touché par les Mongols, la destruction initiale et le choc de la conquête par une tribu barbare inconnue ont permis la croissance sans précédent de la communication interculturelle, l’expansion du commerce et l’amélioration de la civilisation.

On retrouve ce concept de destruction créative dans les travaux de Schumpeter sur la stratégie. Une société ne peut pas récolter les fruits de la création si elle n’accepte pas que des individus finissent moins bien lotis. À court terme comme à long terme. En même temps, les tentatives d’atténuation des aspects les plus rudes de la destruction créative en essayant de préserver certains boulots ou de protéger certaines industries conduit à la stagnation et au déclin, en court-circuitant la marche inévitable du progrès.

Les avantages et les inconvénients du capitalisme sont inextricablement liés. On ne crée pas de nouvelles industries sans chambouler l’ordre établi. La disruption est immédiate, alors que la récompense ne vient qu’à long terme. Par conséquent, les sociétés sont tentées de bloquer cette destruction créative en mettant en place des lois pour freiner le changement. Mais si vous essayez de récupérer les bénéfices sans payer le prix, vous finissez par récolter tout l’inverse.

Genghis Khan avait déjà compris ça à l’époque. Il lui fallait détruire avant de pouvoir reconstruire.

2. Ce qui vous a amené ici ne vous emmènera pas là-bas

La capacité de Temujin à manipuler les gens et la technologie est née de l’expérience acquise pendant plus de 40 ans de guerre quasi constante. À aucun moment précis de sa vie il n’a soudainement acquis son génie de l’art de la guerre, sa capacité à inspirer la loyauté de ses partisans, ou son extraordinaire capacité d’organisation à grand échelle. Ces qualités ne dérivent ni d’une épiphanie ni d’une éducation formelle, mais d’une volonté constante d’apprendre, d’expérimenter et de s’adapter.

Quand vous venez de remporter une victoire, resserrez l’élastique de votre casque.

Vieux dicton japonais)

Un système a tendance à moins bien fonctionner juste après son plus grand triomphe. Paradoxalement, le plus grand danger se trouve au moment de la victoire. C’est pour ça qu’à chaque bataille, Temujin s’efforçait d’apprendre quelque chose de nouveau. Après chaque escarmouche, il obtenait de nouveaux partisans et des techniques de combat supplémentaires. Avec cette volonté constante de combiner des nouvelles idées pour les transformer en un ensemble de tactiques, stratégies et armes militaires en évolution permanente. 

Genghis Khan n’a jamais combattu la même guerre deux fois.


Fin de la première partie – à suivre.