Le paradoxe du contrarian

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Le meeting annuel de Berkshire Hathaway attire 40.000 personnes chaque année. 40.000 personnes qui se disent contrarian (=anticonformistes), qui aiment répéter qu’elles ne sont pas du genre à suivre la foule, mais qui arrivent par milliers à 4h du matin pour faire la queue pour écouter Warren Buffett et Charlie Munger.

Ironie, quand tu nous tiens.

Identifier les idées contrarian

Souvent, l’anticonformisme n’est que du cynisme déguisé. Parce que le cynisme attire les foules. Le véritable anticonformisme, c’est quand votre opinion est tellement inconfortable et ridiculisée que même vous, vous commencez à en douter.

Peu de gens sont capables de ça.

Par définition, on ne peut pas tous être anticonformistes. Statistiquement, il y a de fortes chances que vous ne le soyez pas. Si vous n’êtes pas à l’origine de l’idée anticonformiste, quand vous en entendez parler, par définition elle n’est déjà plus anticonformiste.

Peter Thiel a bâti sa fortune autour de cette idée :

Mon job, c’est de financer des entrepreneurs. La chose la plus importante que je regarde quand vous venez me voir avec une idée, c’est de savoir si vous y avez pensé par vous-même. Est-ce que vous savez quelque chose que personne d’autre ne sait ? Ou est-ce que tout le monde est au courant ?

Supposons que vous veniez me voir en disant, « Mon idée, c’est de faire de faire des batteries de téléphones qui durent plus longtemps. » C’est une bonne idée, mais je ne vais pas vous financer, parce que tout le monde pense que c’est une bonne idée. Et parce que tout le monde pense que c’est une bonne idée, des boîtes comme Google, Apple ou Samsung, avec des tonnes de ressources, vont s’en occuper. C’est pas vraiment une bonne idée de startup.

Réfléchissez en utilisant les premiers principes. Revenez aux fondamentaux. Remettez en question les hypothèses.

C’est le meilleur moyen de lutter contre la pensée de groupe.

Prenons les paiements sur Internet comme exemple. Après le rachat de PayPal par eBay en 2002, tout le monde dans la Silicon Valley pensait que lancer une startup dans les paiements était une connerie, que c’était trop dur, qu’il y avait trop de problèmes de fraude. Et pendant des années, ils ont eu raison. Recueillir le type de données et d’informations nécessaires pour lutter contre la fraude à grande échelle était mission quasi-impossible.

Mais aujourd’hui, Stripe ou Affirm cartonnent. Les problèmes de fraude ne sont plus si terribles que ça, grâce aux nouveaux outils et systèmes de traitement de données. En raisonnant par premiers principes il y a 5 ou 10 ans, vous auriez remis en question l’hypothèse de la fraude, vérifier si elle était toujours d’actualité, et tirer une conclusion différente. Et comme les frères Collison, devenir milliardaire par la même occasion.

Si vos idées énervent, vous êtes sur la bonne voie

Personne ne s’énerve si on leur dit que 2+2=5, ou que les gens à Toulouse mesurent 3m de haut. Des déclarations aussi ridicules sont au mieux considérées comme des blagues, au pire comme des conneries. Les déclarations qui énervent sont souvent celles qui méritent d’être écoutées.

Si Galilée avait dit que les habitants de Padoue faisaient tous 3m de haut, il aurait été considéré comme inoffensif et excentrique. Mais affirmer que la Terre tourne autour du Soleil ? Hors de question pour l’Église que de laisser circuler des idées pareilles. Moins les fidèles réfléchissent, mieux l’Église se porte.

Être contrarian, c’est avoir raison, plus tard.

Quand on regarde le passé, cette règle marche plutôt bien. Beaucoup de déclarations qui ont mis leurs auteurs dans la merde sont acceptées comme la norme aujourd’hui. Il est probable que les générations futures finissent elles-aussi par être d’accord avec certaines déclarations houleuses d’aujourd’hui.

La question à 1 milliard : qui sont les Galilées contemporains ?

Le paradoxe du contrarian

Si vous avez identifié une idée contrarian, le but n’est pas qu’elle le reste. Votre idée contrarian est inutile si elle le reste pour toujours. Ça devient intéressant seulement quand la partagez jusqu’à ce qu’elle ne soit plus contrarian du tout. Vous créez beaucoup de valeur, vous faites énormément de profits et tout le monde bénéficie de votre vision.

Pensez Steve Jobs et le futur de l’informatique. Il n’a pas gardé sa vision pour lui : il l’a partagée avec le monde entier, créant la plus grosse boîte de l’histoire au passage.

On se focalise trop sur l’aspect unique d’une idée, pas assez sur sa réalisation. Ne soyez pas un hipster qui garde pour lui ses idées spéciales, faites le taf nécessaire pour changer notre perception à tous.

On trouve des idées intéressantes et uniques quand on n’en a rien à foutre de ce que pensent les autres, pas en essayant d’être contrarian. C’est pas plus compliqué que ça. Mais si on est honnête, ce qu’on veut vraiment, c’est pas de réfléchir indépendamment. Ce qui est à la mode chez les entrepreneurs, ce ne sont pas les idées contrarian, c’est le fait d’être contrarian. C’est l’identité, plus que la compétence, qui est prisée.

C’est une chose de valoriser la pensée indépendante à sa juste valeur. C’en est une autre de courir après en tant que symbole de statut.

Rien de plus ridicule que d’affirmer, « Moi aussi, je suis anticonformiste ».