« Move fast, break things » et la règle des 70 %

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Move fast, break things. (Mark Zuckerberg)

Cette citation de Zuck est souvent citée comme la référence à suivre pour les startups. Il faut aller vite, très vite.

La deuxième partie de la phrase est aussi importante. On ne peut pas aller vite sans rien casser.

Si on pense à l’industrie classique, il vaut généralement mieux aller doucement et ne rien casser. Parce que casser coûte cher. Si vous construisez une usine au mauvais endroit, vous êtes coincés pour 10 ans. Si vous lancez un nouveau modèle de voiture trop tôt, la campagne de rappel vous coûte une blinde.

Mais dans un monde où le software est omniprésent, aller vite est plus important. Vous pouvez toujours changer la couleur d’un bouton plus tard. Quelques lignes de code et c’est plié.

Du coup, la question devient : à quel point il faut aller vite ?

C’est là que la règle des 70 % entre en jeu :

Le projet est prêt à 70 % ? Lancez-le.
Le livre est terminé à 70 % ? Publiez-le.
Vous êtes sûr à 70 % de votre décision ? Validez-la.

Pourquoi 70 % ?

La règle des 70 %

Pensez en termes d’écart-type. C’est pour ça que les modèles mentaux sont importants. Dans une distribution normale (la fameuse courbe en cloche), environ 68 % des données se trouvent à un écart-type de la moyenne (1σ), 95 % des données à 2σ et 99 % à 3σ.

On arrondit et ça nous donne la règle des 70 %.

La distribution de la taille est un bon exemple :

distribution-normale

La taille moyenne en France est d’environ 170 cm, et 70 % de la population se trouvent à 1σ de la moyenne, donc entre 157 et 180 cm.

« Ok, cool, mais ça nous sert à quoi ? »

L’écart-type est un modèle important parce qu’il vous indique les ressources nécessaires pour chaque écart-type supplémentaire.

En gros, si vous éditez un livre, vous corrigerez 70 % des erreurs à la première relecture, 95 % à la deuxième et 99 % à la troisième.

On considère que 90 % du code correspondent à environ 90 % du temps de développement. Les 10 % restant correspondent également à 90 % du temps de développement. (Tom Cargill)

On peut reformuler cette règle de la façon suivante : aussi loin que vous soyez, vous pouvez probablement aller deux fois plus loin.

Pourquoi ? Quand vous partez vers l’inconnu, vous ne savez pas où est le terminus, vous n’avez aucun moyen de savoir le chemin qu’il vous reste à parcourir. En moyenne, par définition, vous en êtes donc à la moitié.

Ça n’a aucun sens intuitivement, à moins de raisonner en écarts-types.

90 %, c’est environ 1,5σ. Si on considère qu’un projet est terminé une fois qu’on atteint 99 % (jamais rien n’est vraiment parfait), c’est 3σ.

Donc s’il vous faut 10 h pour arriver à 90 %, il vous faudra 10 h de plus pour arriver à 99 %. Plus vous vous approchez de la fin, plus il vous faudra de temps pour vous améliorer.

C’est aussi vrai en sport : plus vous vous approchez des meilleurs, plus ça devient difficile de progresser. La progression n’est pas linéaire.

La règle des 70 %, c’est l’équivalent du 80/20. De l’autre côté du spectre, on a la méthode Six Sigma.

Lean startup vs lean manufacturing. Software vs hardware. Deux industries, deux approches différentes.

70 % vs Six Sigma

La méthode des Six Sigma a été créée pour améliorer la qualité des produits et des process. Produire en 6σ, c’est 99,99966 % de chances de fabriquer des produits parfaits.

Si vous êtes Toyota, Airbus ou EDF, vous n’avez pas le droit à l’erreur. Faire voler un avion terminé à 70 %, c’est pas une bonne idée. Faire tourner une centrale nucléaire à 70 % safe, c’est pas une bonne idée. Si vous avez tort, les conséquences sont catastrophiques et irréversibles.

Si vous êtes président de la République, vous ne voulez pas aller vite. Vous ne pouvez pas compter sur votre intuition. Vous avez besoin d’être certain à 99,99966 %.

Mais l’erreur courante dans ces boîtes, c’est de croire qu’il faut atteindre la perfection partout. Qu’il faut atteindre les Six Sigma pour chaque décision. Mais elles ignorent les coûts d’opportunités : s’il vous faut 3 mois pour terminer un projet à 70 %, est-ce qu’il vaut mieux y passer 6 mois de plus pour arriver à 99 % ou lancer deux autres projets à 70 % ?

Comment décider de la meilleure approche ?

Suivez la règle des 70 % si la décision remplit l’un des deux critères suivants :

  • Ça ne coûte pas cher de se tromper
  • La décision est réversible

Réversible vs Irréversible

Dans sa lettre aux actionnaires de 1997, Jeff Bezos présente la façon dont Amazon prend ses décisions :

« Si la décision est réversible, on peut la prendre rapidement et aller vite sans attendre d’avoir des informations parfaites. Si elle est irréversible, on doit attendre avant de décider, considérer toutes les informations disponibles et faire en sorte qu’on comprenne le problème parfaitement. »

Les décisions irréversibles sont des portes à sens unique. Vous devez les franchir doucement, faire attention et considérer toutes les options. Parce que si vous passez la porte et que vous n’aimez pas ce que vous voyez de l’autre côté, c’est foutu. Vous ne pouvez plus revenir en arrière.

Mais la plupart des décisions sont des portes à double sens. Si vous prenez une mauvaise décision (réversible), vous n’avez pas à en subir les conséquences très longtemps. Vous pouvez rouvrir la porte et revenir en arrière. Ces décisions peuvent et doivent être prises rapidement.

Dans sa lettre, Bezos ajoute que les grosses organisations ont tendance à considérer toutes les décisions comme irréversibles :

« Le résultat final, c’est plus de lenteur, une aversion au risque non fondée, l’incapacité à expérimenter suffisamment, et une innovation constamment appauvrie. Nous devons trouver le moyen de lutter contre cette tendance. »

Ce qui est risqué ne l’est pas. Ce qui semble sûr devient risqué. Une fois arrivé(e) à 70 %, foncez.