L’île de la connaissance et les rivages de notre ignorance

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Imaginez une île représentant la totalité de vos connaissances. Cette île, c’est votre « île de la connaissance ». Imaginez maintenant la mer qui l’entoure. De l’eau à perte de vue. La mer représente le reste du monde extérieur, l’inconnu inexploré, rempli de toutes les vérités qui vous échappent.

Au fur et à mesure que vous en apprenez sur vous et sur le monde, votre île de la connaissance s’agrandit. Et plus elle s’agrandit, plus les rivages de votre ignorance – la limite entre le sable et la mer, entre le connu et l’inconnu – s’agrandissent. En apprendre plus sur le monde vous apporte plus de questions et d’incertitudes.

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On voit bien sur le schéma que quand la surface de l’île augmente, le périmètre du rivage augmente en conséquence. Plus vous savez de choses et plus votre ignorance est exposée. Vous devez accepter que le nombre de choses que vous ignorez augmente proportionnellement avec le nombre de choses que vous apprenez. Ça demande une certaine dose d’humilité

Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. (Socrate)

Trop souvent, convaincus par sa propre intelligence, on s’enferme dans une zone de confort pour éviter de paraître stupide en public. On fige notre connaissance, de peur d’avoir à remettre en question ce qu’on croit savoir. Le biais de confirmation nous empêche de grandir.

Mais la connaissance est un process itératif infini.

Quand on apprend quelque chose, on ne passe pas d’un état où on a tort à un état où on a raison, mais d’un état où on a tort à un nouvel état où on a un peu moins tort.

Le but n’est pas d’arriver à des certitudes, à une « vérité ultime », mais de s’assurer d’avoir un peu moins tort chaque jour.

Au lieu d’aspirer à plus de certitudes, on devrait rechercher le doute. Au lieu d’essayer d’avoir raison tout le temps, on devrait chercher plus souvent à avoir tort.

Une bonne raison d’avoir tort

Pour qu’un changement puisse avoir lieu dans votre vie, vous devez avoir tort à propos de quelque chose.

Avoir tort nous ouvre la possibilité de changer. Avoir tort nous apporte une opportunité de grandir.

Un monde basé sur ce qui nous est familier est un monde dans lequel il n’y a plus rien à apprendre. (Eli Pariser)

L’incertitude est à la base de tout progrès. On ne peut rien apprendre s’il n’y a rien qu’on ne connait pas dans un premier temps. Plus on admet qu’on ne sait rien, plus on a d’opportunités d’apprendre.

Les bouddhistes ont ce concept de shoshin, la voie du débutant. C’est l’état d’esprit du débutant, prêt à essayer de nouvelles choses, à étudier de nouvelles idées. Une attitude enthousiaste, humble, sans idées préconçues.

Cette ouverture d’esprit doit être présente pour qu’un changement puisse avoir lieu. Avant de pouvoir remettre en question nos valeurs, notre vision du monde, pour les modifier ou les améliorer, il faut pouvoir en douter. Pouvoir voir à quel point elles ne correspondent pas avec le reste du monde.

Si quelque chose menace votre identité, vous allez l’éviter. Et plus ça va contredire l’image que vous avez de vous-même, plus vous allez vous en éloigner. Il y a un certain confort à savoir quelle place on a dans le monde. Une nouvelle idée qui met en danger ce confort vous fera peur – même si elle peut changer votre vie.

Gardez votre identité aussi petite que possible

C’est pourquoi Paul Graham recommande de garder son identité aussi petite que possible. On ne peut pas avoir de discussion constructive sur un sujet qui engage son identité. C’est pour ça que la politique ou la religion sont des sujets délicats.

Si les gens ne peuvent pas réfléchir objectivement quand leur identité est en jeu, toutes choses égales par ailleurs, la meilleure solution est de ne pas laisser trop de choses faire partie votre identité.

Vous vous considérez probablement comme étant tolérants. Mais il y a une étape supplémentaire : au lieu de vous considérer comme étant ABC tolérant XYZ, ne vous considérez pas comme étant ABC.

Toutes les étiquettes que vous vous mettez sont autant de barrières à votre apprentissage.

Construisez votre anti-librairie

Un autre moyen de cultiver cet état d’esprit est de commencer votre anti-librairie.

Dans Le Cygne Noir, Taleb raconte une anecdote  sur Umberto Eco. Connu pour sa gigantesque libraire (environ 30 000 livres), Eco aime séparer ses visiteurs en deux catégories : ceux qui s’exclament devant tant de livres, « Vous les avez vraiment tous lus ? », et les autres – une minorité – qui comprennent que le but d’une librairie aussi imposante n’est pas de booster l’ego.

Je me suis souvent senti coupable en voyant tous les livres que j’avais achetés mais pas encore lus. Mais j’ai compris que c’était une bonne chose. C’est un pas dans la bonne direction, ça me rappelle tout ce que je ne sais pas encore.

Les livres non lus sont aussi importants que les livres déjà lus.

Ces livres sont votre anti-librairie. Comme pour les rivages de votre ignorance, vous devez être confortable en la voyant s’étoffer au fur et à mesure que vous lisez, au fur et à mesure que vous grandissez.