7 questions pour mieux comprendre le Bitcoin

Bitcoin

Qu’est-ce que la cryptographie ?

Pour la première fois de l’histoire, le Bitcoin offre la possibilité à un utilisateur d’Internet de transférer un bien numérique unique (par ex, de l’argent, une signature, un contrat) à un autre utilisateur, de manière sûre, sécurisée, visible par tous et dont la légitimité ne puisse pas être remise en question.

C’est la première application pratique à grande échelle qui résout le problème de confiance décentralisée – où deux entités peuvent effectuer une transaction sans avoir besoin de se connaître ou de se faire confiance.

Au niveau le plus fondamental, le Bitcoin est une innovation informatique – fondée sur 40 ans de recherche en cryptographie par des milliers de chercheurs autour du monde.

Quand les gens entendent “cryptographie”, beaucoup imaginent des espions en train de s’échanger des secrets et ont en tête l’image de la fameuse machine Enigma.

Ce n’est pas cet aspect secret de la cryptographie qui nous intéresse ici, mais ce qu’elle permet en termes de protection d’un message :

3-piliers-cryptographie

On fait souvent référence à l’or dans le cas du Bitcoin, mais en théorie l’or peut effectivement être synthétisé. Grâce à la transmutation nucléaire, on peut transformer le plomb en or (en arrachant à un atome de Pb 11 nucléons, 3 protons et 8 neutrons, on obtient un atome d’Au).

Si les probabilités que ça arrive dans la réalité sont extrêmement faibles, c’est en réalité plus simple à faire que de falsifier un document en termes cryptographiques.

Ces 3 piliers de la cryptographie – confidentialité, authenticité et intégrité – sont les clés pour comprendre la technologie derrière le Bitcoin.

Peut-on avoir la blockchain sans le Bitcoin ?

En un mot : non. Question suivante.

Plus sérieusement, cette question reflète une incompréhension majeure de la technologie.

La clé pour comprendre la relation entre le Bitcoin et la blockchain ne se trouve pas dans le nombre de transactions ou le nombre d’utilisateurs. La véritable proposition de valeur du Bitcoin est sa décentralisation. Cette décentralisation est effective seulement si le contrôle du réseau est décentralisé, ce qui est là encore possible seulement si le réseau est basé sur un mécanisme qui permet de le sécuriser.

Ce mécanisme est une compétition entre les mineurs basée sur la théorie des jeux, où la récompense (le Bitcoin en l’occurrence) garantit que ces mineurs vont suivre les règles du jeu. Si c’est le cas, ils sont récompensés avec des Bitcoins. Sinon, non seulement ils ne reçoivent pas de récompense, mais ils perdent en plus le temps et l’énergie dépensée pour participer à la compétition dans un premier temps. Et comme on le verra plus tard, c’est loin d’être négligeable.

C’est ce mécanisme qui est au cœur de la sécurité du réseau. Sans la crypto-monnaie, vous ne pouvez pas garantir sa sécurité. Donc sans le Bitcoin, vous avez besoin d’une autorité centralisé pour contrôler quelles transactions il faut valider ou non. Et d’un coup votre réseau devient non seulement fermé (chaque participant doit être vérifié), mais il perd sa neutralité, sa résistance à la censure, et sa nature transfrontalière. Retour à la case départ, sans toucher les 20 000€.

C’est pour ça que le Bitcoin est nécessaire, que la blockchain ne peut pas exister sans lui. Et bien évidemment le Bitcoin ne peut pas non plus exister sans la blockchain.

Les gens qui vous disent qu’ils aiment la blockchain mais pas le Bitcoin n’ont rien compris à son fonctionnement. C’est comme dire, “on aime beaucoup les ampoules mais est-ce que ce serait possible de les avoir sans l’électricité, c’est chiant à gérer et l’infrastructure est trop compliquée. On pourrait pas mettre du pétrole à la place plutôt dedans ?“ Ça s’appelle une lampe à pétrole et ça a été inventé il y a 150 ans…

Qu’est-ce que la « proof of work », la fameuse preuve de travail ?

La preuve de travail est un moyen de garantir le chiffrement à clé publique et privée. C’est le concept de cryptographie asymétrique derrière la blockchain.

Le plus simple pour l’expliquer est d’utiliser une analogie.

Imaginez que vous possédez un dictionnaire Français-Hongrois mais pas son équivalent Hongrois-Français. Si vous ne parlez pas hongrois, la seule façon de trouver la traduction française d’un mot hongrois est de vous farcir tout le dictionnaire. Il est impossible de devenir la traduction au hasard, vous devez lire toutes les pages une par une.

En revanche, quand quelqu’un prétend avoir trouvé la traduction, c’est très facile de vérifier s’il a raison ou pas. Il suffit de prendre votre dictionnaire Français-Hongrois et d’aller vérifier si la traduction hongroise est bien la bonne.

Les Bitcoins minés sont la récompense pour celui qui aura trouvé la bonne traduction (celui qui aura dépensé x Wh d’électricité pour trouver la solution).

On a donc bien une asymétrie du coût de calcul : le travail est difficilement réalisable par le demandeur (dans le cas du Bitcoin, le mineur), mais facilement vérifiable par un tiers (le reste du réseau).

C’est comme ça que fonctionne l’algorithme de minage du Bitcoin. Il est impossible de deviner la solution du problème posé. Vous n’avez pas d’autre choix que de le résoudre, que de faire le boulot. D’où son nom de « preuve de travail ».

La preuve de travail est faite de telle sorte que chaque nouveau bloc dépend du précédent pour imposer un ordre chronologique à la blockchain. Ce qui rend d’autant plus dur à modifier des transactions passées parce que ça nécessiterait de recalculer toutes les preuves de travail successives.

Peut-on hacker le Bitcoin, ou est-il sécurisé ?

Une autre « erreur » souvent répandue sur le Bitcoin est que si 51% des ordinateurs du réseau (ou pour être plus précis, les ordinateurs/mineurs représentant 51% de la puissance informatique du réseau) se mettent d’accord, ils peuvent modifier le registre à leur guise et voler les Bitcoins de tout le monde.

Déjà, il faut comprendre que le hash rate (vitesse à laquelle un ordinateur effectue une opération de calcul) du réseau Bitcoin en 2017 était entre 50 et 500 fois plus puissant que l’ensemble des 500 superordinateurs combinés selon la période. Si cette phrase est fondamentalement fausse (je compare des oranges et des bananes ici), elle donne malgré tout une bonne idée de la puissance nécessaire pour contrôler 51% du réseau aujourd’hui.

Pour l’exercice de pensée, admettons que ce soit possible. Admettons que les plus grosses mines de Bitcoin au monde arrivent à se concerter et décident de nous la mettre à l’envers.

Deux bémols à ce scénario.

1) La validation d’un nouveau bloc est basée sur un système de consensus entre les nœuds du réseau, favorisant la chaîne la plus longue. Donc pour modifier un ancien bloc, vous devez non seulement avoir plus de puissance que la moitié du réseau, mais vous devez maintenir cette puissance le temps de revalider TOUS les blocs de la chaîne jusqu’à rattraper le bloc en cours et pouvoir devenir la chaîne principale.

Sachant qu’un nouveau bloc est validé toutes les dix minutes, va falloir s’accrocher !

2) L’autre bémol se trouve au niveau de la compréhension du comportement humain. On a vu que le mécanisme de minage récompense le mineur quand il trouve la solution. Si ce groupe de mineurs super-puissants a effectivement plus de 51% de la puissance du réseau, il est bien plus avantageux pour eux de juste miner des Bitcoins.

A presque 7000€ le Bitcoin à l’heure où j’écris cet article, et 12,5BTC produits toutes les dix minutes, ça fait 500k€ de l’heure. On a connu pire comme taux horaire.

Après tout, le Bitcoin est une crypto-monnaie, et « crypto » signifie sécurisé, pas vrai ?

Oui, mais non.

Si l’on ne compte plus tous les cas de piratages des exchanges, de vols de Bitcoins ou de pertes de clés privées, aucun d’entre eux n’est lié à la technologie en soi. Le problème est que beaucoup trop de gens gardent leurs BTC sur les plateformes d’échange où ils les ont achetés, renonçant ainsi à tous les avantages intrinsèques à la blockchain.

Plus besoin de pirater le réseau, il suffit juste de trouver une porte d’entrée dans la plateforme (qui a une surface d’attaque bien plus grande que le Bitcoin, donc bien plus vulnérable). Ou tout simplement de pirater une boîte mail et de transférer les BTC vers une nouvelle adresse privée.

Comme la transaction est par définition irréversible et inaltérable, il vous sera impossible de récupérer vos Bitcoins comme ça serait le cas avec une transaction suspecte sur votre compte en banque classique.

Pour résumer, non, hacker la blockchain n’est pas envisageable, mais le risque majeur de sécurité se trouve ailleurs. Chez vous.
Dans votre décision de garder vos Bitcoins sur une plateforme (centralisée) au lieu de les stocker au chaud dans un portefeuille matériel. HORS. LIGNE.

Le Bitcoin, un problème pour l’environnement ?

On l’a vu, la puissance computationnelle du réseau Bitcoin est supérieur aux superordinateurs les plus puissants de la planète. Une telle performance a un prix. Chaque transaction en Bitcoins nécessite la même quantité d’énergie qu’il faut pour alimenter neuf foyers aux Etats-Unis pendant une journée entière.

L’énergie totale utilisée par le réseau est énorme – on l’estime à 31 terawatt-heure par année.

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Plus de 150 pays entiers consomment moins d’énergie que ça en une année entière. Et c’est sans compter sur les mineurs qui cherchent constamment à installer des ordinateurs de plus en plus puissants. Le réseau augmente sa consommation d’énergie chaque jour d’environ 450 gigawatt-heure, à peu près la quantité d’électricité que consomme Haïti pendant un an.

On peut raisonnablement penser que la consommation va continuer à augmenter jusqu’à ce qu’elle atteigne le montant de la récompense de chaque bloc.

Les prédictions annoncent que d’ici 2019, le réseau Bitcoin nécessitera plus d’électricité que la totalité des États-Unis. Et d’ici début 2020, autant que la totalité de la planète.

Cette consommation n’est pas liée au nombre de transactions faites en Bitcoin. A valeur du Bitcoin égale, miner un bloc demande autant d’énergie qu’il contienne une seule transaction ou 2500 (la moyenne actuelle).

Ce qui entraîne une hausse de la consommation est en fait la valeur même d’un BTC. Un prix plus élevé signifie que la récompense de 12,5BTC devient elle-même plus élevée, et donc que les mineurs vont dépenser plus pour gagner plus.

Heureusement, c’est un problème qui devrait se résoudre de lui-même à long terme. La récompense par bloc diminue de moitié tous les quatre ans : elle a commencé à 50 Bitcoins en 2009, et la prochaine réduction de moitié est prévue pour 2020 (de 12,5 à 6,25). A chaque réduction, la consommation d’énergie du réseau devrait elle-aussi diminuer proportionnellement.

La différence avec les autres moyens de paiement est que la consommation du Bitcoin saute aux yeux. Alors que l’énergie dépensée par tous les bureaux et centres de données anti-fraude VISA ou Mastercard nécessaires pour utiliser vos cartes de crédit est invisible – tout se passe en arrière-plan.

Est-ce que ça veut dire que le Bitcoin est le moyen de paiement le plus écolo de la planète ? Probablement pas. Mais la différence n’est sûrement pas aussi évidente qu’elle n’y parait.

Un autre point intéressant à noter est que le Bitcoin permet de décentraliser l’utilisation d’énergie n’importe où dans le monde. Dans les régions où l’offre est supérieure à la demande, on a donc la possibilité d’utiliser l’énergie qui serait de toute façon produite et gaspillée pour rentabiliser les coûts de construction grâce au Bitcoin.

Plus d’explications ici : Q&A – Mining Energy Consumption

Ou encore, le fait qu’on puisse trouver des moyens de récupérer les énormes quantités de chaleur générées par le réseau pour chauffer votre maison, ou faire pousser des plantes.

Nous ne pouvons probablement pas nous permettre d’avoir deux systèmes de preuve-de-travail distincts qui tournent en même temps. Mais nous en avons besoin d’un. Et le Bitcoin est aujourd’hui de loin le plus robuste.

Le Bitcoin peut-il devenir la monnaie universelle, ou a minima un moyen de paiement international ?

Cette question mérite à elle seule un article entier, donc je vais vous faire la version (très) courte.

Pour que le Bitcoin puisse devenir une véritable monnaie internationale, au minimum trois conditions doivent a priori être remplies :

  • Le Bitcoin doit être un moyen d’échange simple entre les gens,
  • Il doit être mondialement accepté et reconnu comme monnaie légale et publique,
  • Sa valeur doit rester stable et ne pas fluctuer (sinon il est impossible de fixer des prix).

Aujourd’hui, le Bitcoin ne remplit aucune de ces conditions.

La difficulté de conserver ses BTC de manière sécurisée, le manque d’infrastructures et la mauvaise réputation – à mon sens infondée – de l’écosystème empêchent pour l’instant le premier point d’être réalisé.

Le deuxième point est très important. Le Bitcoin a de la valeur comme devise seulement s’il atteint une masse critique comme monnaie mondiale. En d’autres termes, si vous en avez besoin pour acheter des choses dans la vraie vie, et que du coup ça nécessite d’acheter des Bitcoins à quelqu’un d’autre afin de pouvoir faire des affaires impossibles autrement. Aujourd’hui, les spéculateurs sont les seules personnes faisant grimper les prix. Ajoutez à ça tous les problèmes actuels liés à sa régulation et vous avez un point bloquant majeur.

Quant au dernier point, il n’est pas réalisable à cause de l’architecture même du Bitcoin, de sa rareté. Aucun gouvernement, aucune organisation ou banque centrale quelle qu’elle soit ne peut produire plus de Bitcoins.

Il est impossible d’en imprimer, et impossible d’en miner plus à la demande. Donc impossible d’en contrôler la valeur, qualité essentielle d’une monnaie fiduciaire.

C’est une vision volontairement simpliste, parce que cette caractéristique, bien qu’étant nécessaire à la compréhension générale du Bitcoin, n’est pas un critère de qualité pertinent pour juger de son utilité.

Qu’est-ce qu’on en a à faire du Bitcoin nous du coup ?

La bulle de ce début d’année est un cas d’école de l’irrationalité des marchés. Les problèmes de sécurité sont encore nombreux, et la technologie en soi est très difficile à comprendre. Du coup, pourquoi vous intéresser à une obscure technologique révolutionnaire qui pour l’instant n’a pas l’air très différente que d’utiliser votre carte de crédit sur Internet ?

Négliger les innovations qui ont rendu le Bitcoin possible serait faire preuve d’un manque de clairvoyance flagrant.
S’il y a bien une chose qu’on a apprise de la récente histoire de l’Internet, c’est que ce genre de décisions apparemment ésotériques concernant toute nouvelle architecture logicielle peut profondément changer le monde une fois que la technologie atteint une masse critique.

Si les protocoles standards de messagerie adoptés dans les années 1970 avaient pu bénéficier d’encryptage à clé publique-privée, on aurait évité tous les piratages de ces dernières années, des vols d’identité au piratage massif de Sony en 2014. Si Tim Berners-Lee, l’un des inventeurs du World Wide Web, avait pu inclure un protocole de protection de notre identité sociale dans ses spécifications initiales, nous n’aurions sûrement pas connu Facebook (et les problèmes de vols de données qu’on connait aujourd’hui).

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En bref, si les applications du Bitcoin et de la blockchain pour le grand public aujourd’hui sont au pire inexistantes, au mieux balbutiantes, le travail entrepris par Nakamoto Satoshi en 2009 est lui bien révolutionnaire. Pensez à ce qu’Internet a permis depuis ses débuts, et dites-vous bien que cette révolution là risque d’être encore plus spectaculaire.

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Vous voulez en savoir plus ? Lisez cet essai sur les protocoles épais et ses implications pour le futur de la blockchain.