Coronavirus : 11 modèles mentaux pour voir la situation autrement

“Il y a des décennies où rien ne se passe, et il y a des semaines qui semblent durer des décennies. »

(Vladimir Lénine)

Jamais cette citation de Lénine n’aura été aussi juste. Difficile de savoir à quel point, mais de toute évidence, les semaines que l’on vit actuellement vont nous marquer pendant longtemps. C’est une bonne occasion pour mettre à profit nos modèles mentaux.

1) Systèmes multiplicatifs

La non-linéarité du coronavirus a été longuement abordée, mais certains ont toujours du mal à appréhender le concept de système multiplicatif. Voilà 3 analogies pour ceux qui n’auraient pas encore saisi l’ampleur du problème. Ou pour expliquer le concept aux enfants.

La différence entre la grippe et le coronavirus est la même que celle entre la marée et un tsunami. Il y a la même quantité d’eau, mais l’impact est différent parce que dans le cas d’un tsunami, l’eau arrive d’un seul coup.

« Si quelqu’un peut jongler avec 4 balles en ne les faisant tomber qu’ 1 % du temps, il peut aussi jongler avec 10 balles en ne les faisant tomber qu’ 1 % du temps. »

C’est comme ça que les gens évaluent la mortalité. Mais la médecine n’est pas un système élastique. C’est désormais une évidence quand on regarde les pays les plus touchés, le problème n’est pas (seulement) le taux de mortalité du virus, mais celui qu’on a quand le système de santé est débordé.

« Les accidents de voitures tuent plus de gens que le coronavirus. »

Factuellement, c’est vrai. Mais les gens qui ont eu un accident de voiture ne refilent pas un accident de voiture à 5 autres personnes quand ils entrent dans un magasin.


2) Le pouvoir des intérêts composés

À l’heure où j’écris ces lignes, l’Espagne, l’Allemagne, la France et les États-Unis comptent tous plus de cas positifs que l’Italie quand elle est entrée en quarantaine forcée. 16 autres pays ont plus de cas que le Hubei quand la Chine a ordonné la fermeture totale de la région.

Quand une trajectoire exponentielle est évidente, il est déjà trop tard.

Au rythme où les courbes ci-dessus progressent, on atteindra le millions de cas la semaine prochaine. Sauf si tout le monde joue le jeu, et que chacun reste chez soi. Ce gif explique parfaitement pourquoi c’est efficace :


3) Conséquences inattendues

Les conséquences inattendues sont légions ici. Certaines sont négatives, comme ces centaines de singes affamés qui envahissent les rues en Thaïlande parce qu’il n’y a plus de touristes pour les nourrir :

Certaines sont positives, comme l’eau des canaux de Venise qui est à nouveau claire. Sans les touristes et la pollution, les poissons et les cygnes sont de retour :

D’autres sont insolites, comme à Wuhan :

[…] les écoles sont suspendues jusqu’à nouvel ordre. Des clips vidéos sur la vie en quarantaine deviennent à la mode sur TikTok. Tout allait bien, les enfants étaient heureux d’être à la maison, jusqu’à ce qu’une nouvelle App, DingTalk, fasse son apparition. Les élèves sont supposés s’inscrire pour participer à leurs cours en ligne, et les profs utilisent l’App pour leur donner des devoirs à faire à la maison. C’est là où ça devient intéressant : les élèves se sont rendus compte que si un nombre suffisant d’utilisateurs de l’App laissaient un commentaire 1 étoile, elle serait retirée de l’App Store. Des dizaines de milliers de notes plus tard, la note moyenne de DingTalk passait de 4.9 à 1.4, obligeant les développeurs à supplier sur les réseaux sociaux :

« L’App n’a que 5 ans, ne la tuez pas svp. »

The word from Wuhan

Ou plus proche de nous, au UK, où une pénurie de PQ provoque le chaos dans l’usine de traitement des déchets de Milton Keynes, parce que les habitants ont bloqués les tuyaux d’évacuation à force d’utiliser du sopalin ou des lingettes bébé.

Ça ne s’invente pas.


4) Inversion

Au lieu de vous demander comment faire pour ne pas être contaminé par le virus, imaginez que vous l’avez déjà, et changez votre comportement pour ne pas le transmettre.

Ne changez pas vos habitudes pour éviter d’être infecté, changez vos habitudes pour ne pas contaminer les autres.

Celui qui reste à l’écart sauve les autres.

Une autre image pour expliquer aux plus jeunes l’importance de l’isolation sociale :


5) Un expert nommé Lindy

  • Il est temps de ressortir les recettes de grand-mère

Contrairement à ce que l’on croit, le sushi est le mot utilisé pour décrire le riz vinaigré, pas le poisson cru (sashimi). Comment les Japonais au Moyen-Âge pouvaient-ils manger du poisson cru au milieu de l’été alors que la réfrigération n’avait pas encore été inventée ? Grâce au vinaigre dans leur riz. Le wasabi aide aussi.

Économique, non-toxique, et disponible partout, le vinaigre tue les virus et les bactéries. Bonus : il n’est pas en rupture de stock. Autant de bonnes raisons de suivre nos ancêtres, qui se lavaient les mains dans du vinaigre, y trempaient leurs pièces de monnaie ou leurs protège-dents.

On utilisait aussi le vinaigre pendant la grande peste de Londres, au 17è siècle, quand les docteurs portaient ce genre de masque pour ne pas être infecté :

Ils respiraient à travers une éponge préalablement trempée dans du vinaigre non dilué et placée dans le « bec ».

  • Étudier les leçons du passé

Toujours dans cette volonté de se tourner vers le passé pour mieux se préparer pour le futur, étudier les pandémies passées est une bonne idée. Taïwan ou Singapour ont réagi aussi bien et aussi vite parce qu’ils ont été touchés par un autre coronavirus, le SRAS, en 2002.

En se basant sur ce qui s’est passé pour le MERS, le SRAS ou la grippe espagnole, on constate la présence de plusieurs vagues d’épidémies. On peut donc s’attendre à une deuxième vague en fin d’année, plus sévère, car cette fois, le virus partirait d’une base de centaines de milliers de gens infectés dans le monde entier au lieu d’un dizaine à Wuhan.

Autre point à considérer : on n’a jamais pu développé de vaccin pour les 6 autres coronavirus connus à ce jour. Si les incentives sont plus hautes aujourd’hui, il n’est pas illogique de penser que ça prendra au moins 14-18 mois.

Beaucoup de choses peuvent se passer d’ici là.


6) Marge de sécurité

La nature nous a donné deux reins alors qu’on en a besoin que d’un. Pourquoi une telle inefficacité après des milliers d’années d’évolution ? Question de survie, en cas d’imprévu. Une marge de sécurité nous permet d’être plus résilient sans avoir besoin d’avoir toujours raison dans nos prédictions.

Dans la plupart des industries, les marges n’existent plus. Dans la course aux prix les plus bas, ce qui saute en premier, c’est le gras. Que ce soient les réserves de stock ou de cash :

Quand tout va bien, le lean manufacturing et les systèmes juste-à-temps permettent des bénéfices marginaux. Dans un système sur-optimisé, il n’y a pas de marge. Si vous n’avez aucune marge, par définition, vous êtes fragile. N’importe quel changement, n’importe quel facteur de stress ou de volatilité vous est hostile. Et quand les problèmes apparaissent, ça part vraiment en vrille.

Il faut bien comprendre qu’une fermeture de deux semaines ne veut pas dire qu’il n’y aura qu’un délai de deux semaines avant que le produit n’arrive jusqu’au client final. Un simple composant manquant dans un système de 500+ pièces arrête toute la production. J’ai vu les dégâts financiers causés par un arrêt de chaîne quand je travaillais dans l’automobile, je n’ose pas imaginer ce que ça donne si la la production mondiale doit ralentir. Encore moins si elle s’arrête.

On paie en inefficacités ce qu’on achète en protection contre le risque de ruine. Les marges de sécurité dans un système sont une assurance.

On va passer d’une génération qui vénère l’efficacité à une génération qui apprécie l’importance d’avoir des lits d’hôpital vides, du stock sur les lignes d’assemblage et des provisions de cash, de PQ et de boites de conserve à la maison.


7) Incentives

En 1813, la Prusse ordonna à toutes les femmes de faire don de leurs bijoux en or pour financer la guerre contre la France. En échange, elles reçurent ce bracelet en fer, avec l’inscription « J’ai échangé de l’or contre du fer », qui devient rapidement un prestigieux symbole de statut social.

On peut imaginer une mesure similaire pour forcer les gens à porter un masque pour sortir. Une incitation qui monterait le coût social ou financier tellement haut que sortir sans masque deviendrait une folie.

Ou bien, on pourrait revenir à des techniques plus traditionnelles, comme dans ce supermarché danois :


8) Biais de cadrage

Sur les réseaux sociaux, certains rigolent de la situation parce qu’ils pensent que le virus n’est une menace que pour les vieux, et parce que le taux de mortalité de 3 % est relativement bas.

Mais si je vous donne 100 Smarties et que je vous dis que 3 d’entre eux sont mortels, allez-vous prendre le risque d’en manger ?

Si vous êtes dans une pièce avec 99 personnes, et que je vous dis que quelqu’un va arriver et tuer 3 personnes, vous ne vous mettrez pas à paniquer « parce que le taux de survie est de 97 % » ?


9) Un marshmallow test géant

Le coronavirus est un marshmallow test géant pour les gouvernements comme les citoyens : forcer la quarantaine totale maintenant pour deux semaines ou plus tard pour deux mois ?

Notre cerveau a tendance à surestimer les bénéfices et à éviter la douleur à court terme. Si vous avez le choix entre deux options relativement égales, prenez la plus difficile à court terme. Optez pour la souffrance.

C’est vrai pour une pandémie, pour une entreprise (satisfaire les actionnaires à court terme vs les clients à long terme), mais aussi pour chacun d’entre nous (manger un gâteau vs manger sain, binger sur Netflix vs faire du sport).

Choix difficiles, vie facile.
Choix faciles, vie difficile.

(Jerzy Gregorek)

Agir maintenant coûte moins cher qu’agir plus tard. Prenez par exemple la catastrophe de Deepwater Horizon en avril 2010 : entre les amendes, les compromis signés au tribunal et le nettoyage du site, BP a dû payer plus de 70 milliards de dollars. Tout ça pour avoir voulu économiser un test de 128.000 dollars annulé le matin de l’explosion.

La liberté aujourd’hui s’emprunte à un taux extrêmement élevé. Ce que vous refusez de payer maintenant, vous le payez au centuple plus tard.


10) La survie du plus adapté

Ce n’est pas le fort qui survit, ni le plus intelligent. C’est le apte à s’adapter à la situation. En ces temps Darwiniens, nombreuses sont les boites qui ont su (dû ?) s’adapter rapidement. Soyons chauvins un instant, et commençons par LVMH, qui a transformé ses usines de parfums et cosmétiques pour la fabrication de gel hydroalcoolique.

Les distilleries ont rapidement pris le pas, comme chez Dillon et BrewDog, qui ont transformé leurs bouteilles en désinfectant pour les mains (ndlr : plus de 65 % d’alcool est nécessaire pour que le désinfectant soit utile).

Et voici les deux gagnants du jour dans la catégorie « créatif », Guinness et Jeep :


11) L’importance du feedback

La vidéo ci-dessous montre l’importance de la façon dont on se lave les mains, grâce à l’utilisation de peinture :

https://twitter.com/Dhammikax/status/1240944535003430912

En se basant sur cette vidéo, pourquoi ne pas développer un savon pour les mains en deux temps ? La première étape serait teintée – on se laverait les mains jusqu’à ce qu’elles soient couvertes de peinture – et la deuxième étape consisterait à retirer la peinture. On pourrait tous se laver les mains correctement sans y réfléchir à deux fois.

De manière plus générale, la leçon à retenir ici est qu’on apprend beaucoup mieux quand le feedback est visible.


La guerre contre le virus est à la fois une course contre la montre et une course d’endurance. Tout le monde doit jouer son rôle. C’est la fin des routines, des plaisirs à vivre ensemble. Une nouvelle vie commence, et cette fois, l’ennemi, c’est les autres.

Ce n’est pas le virus, mais celui qui le transmet : les amis, les collègues, les voisins, les enfants. Le virus, lui, est indifférent, il ne fait pas de discrimination. C’est pour ça que la tactique la plus efficace est de limiter nos déplacements et notre capacité à le transporter.

Ce n’est plus l’heure d’être brave ou courageux.

La stupidité tue.

6 thoughts on “Coronavirus : 11 modèles mentaux pour voir la situation autrement

  1. Salut,

    Merci pour ton article. Vraiment top 🙂
    J’ai découvert des biais que je ne connaissais pas (de nom).

    Bonne continuation 🙂

    1. Salut Julien, et merci !

      Tu as préféré quelle(s) partie(s) de l’article ?

  2. J’ai vraiment apprécié, mettre des mots simples sur des notions un peu abstraites. En plus, cela remet les idées en place.
    Mamy Bee

    1. Hello Mamy Bee (sympa comme pseudo),

      C’était le but recherché, super si ça vous a plu du coup !

      Rémi

  3. Super article comme d’habitude. Bien sûr, le temps viendra faire le tri sur le réel danger de ce virus sur la planète. Ne nous lançons pas dans un débat inutile. Vous êtes pour moi une référence dans l’écriture de blog… Une intelligence rare et en français de surcroît. N’arrêtez jamais svp 🙏😂

    1. Merci David, ça fait super plaisir à lire !

      En effet, le temps est souvent le meilleur moyen de faire le tri dans tout le bullshit ambiant.

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