Une autre façon de voir les modèles mentaux est de les considérer comme des cartes. Un modèle mental est une simplification du monde. Comme une carte, il simplifie le territoire qu’il représente.
Autrement dit, la description d’une chose n’est pas la chose elle-même. Le modèle n’est pas la réalité. D’ailleurs, les cartes ne sont utiles que parce qu’elles simplifient. Elles sont des réductions de ce qu’elles représentent. Si une carte devait retranscrire parfaitement le territoire qu’elle décrit, ça ne serait plus une réduction et elle n’aurait plus aucune utilité.
Si vous patron vous demande une « carte exacte de Londres » sur son bureau d’ici 15h, votre seule option est de lui ramener la ville entière de Londres. La seule représentation parfaite de Londres, c’est par définition Londres elle-même.
Prenons un exemple plus parlant.
J’utilise beaucoup Google Maps pour me déplacer, mais je n’utilise jamais la vue satellite, qui ressemble à ça :
Impossible de retrouver son chemin là-dedans…
Comme tout le monde, j’utilise le format classique, avec bien moins d’informations mais bien plus utile :
Ça marche parce qu’elle simplifie.
L’autre raison pour laquelle j’aime considérer les modèles mentaux comme des cartes, c’est parce que les cartes déforment la réalité intentionnellement. Les cartes n’ont pas besoin d’être parfaites, pareil pour les modèles mentaux.
Prenez la carte du métro :
Si je devais superposer cette carte avec celle de Londres, aucun arrêt de métro ne serait à la bonne place – les arrêts ne sont pas tous en ligne droite, et certainement pas à la même distance les uns des autres.
Cette carte du métro filtre l’information inutile pour les usagers (distance, position absolue), pour n’afficher que ce qu’ils ont vraiment besoin de savoir : comment aller d’un point A à un point B.
On ne veut pas une représentation parfaite de la réalité. On veut quelque chose qui marche.
Les modèles mentaux ne doivent pas être parfaits. Ils doivent juste être assez précis pour être utiles.
Une carte du métro peut déformer la réalité pour vous aider à vous déplacer. De la même manière, nous déformons notre vision du monde pour nous aider à mieux naviguer dans la vie.
Vous devez juger un modèle par son utilité, pas par son exactitude.
Mais pour ça, il faut pouvoir en comprendre les limites.
Comprendre une carte, c’est comprendre ses limites
Notre esprit créé une carte de la réalité pour essayer de la comprendre, parce que le seul moyen de digérer la complexité de la réalité est par l’abstraction. Mais bien souvent nous ne comprenons pas les limites de nos cartes. On est tellement dépendant de cette abstraction qu’on utilise souvent des modèles faux parce qu’un modèle faux est préférable à pas de modèle. On se rappelle l’histoire de l‘homme bourré qui cherche ses clés sous le lampadaire parce que « c’est là où il y a de la lumière. »
Selon Nassim Taleb, le problème est le suivant :
Un modèle vous montrera peut-être certains risques, mais pas les risques liés à son utilisation. De plus, les modèles sont construits sur un nombre fini de paramètres, alors que la réalité nous apporte une source infinie de risques.
C’est comme un GPS qui vous montrerait où vous vous trouvez en permanence, sans vous indiquer les falaises. Ce GPS vous conviendrait parfaitement, jusqu’à ce que vous vous écrasiez en bas de la montagne.
Quand la carte et le terrain sont différents, suivez le terrain
Le problème avec les cartes n’est pas de devoir les construire à partir de rien, mais de toujours devoir les mettre à jour pour qu’elles restent fidèles. Le monde entier évolue constamment. Les glaciers se forment et disparaissent. Les cultures se créent et meurent. Même le point de vue avec lequel on observe le monde change constamment. Quand on est petit, on est dépendant, sans défense. Adulte, on devient puissant. Mais avec l’âge ou la maladie, on redevient faible et dépendant. Quand on a des enfants notre vision du monde change. Quand on est pauvre le monde nous apparaît différent de quand on est riche. Tous les jours on nous bombarde d’information sur la nature du monde, sur la réalité. Nous devons mettre à jour nos cartes pour tenir compte de tous ces changements.
Mais beaucoup n’ont pas envie de faire l’effort. Certains vont s’arrêter à l’adolescence ou à la fin de leurs études. Leurs cartes seront petites et sommaires, leur vision du monde sera réduite et trompeuse. Vers la cinquantaine en général, les gens arrêtent de mettre à jour leurs cartes. Ils sont certains qu’elles sont complètes et que leur vision du monde est correcte – voire sacrosainte. Les nouvelles informations ne les intéressent plus, comme s’ils en avaient eu assez.
Que se passe-t-il quand on a lutté pendant longtemps pour développer une vision du monde à peu près fonctionnelle et qu’une nouvelle information vient tout remettre en question ? L’effort devient effrayant, insurmontable. Et plus souvent qu’on n’aime se l’avouer, on ignore cette nouvelle information. Parfois l’acte d’ignorer l’information n’est plus du tout passif. On dénonce la nouveauté comme étant fausse, dangereuse, hérétique, l’œuvre du diable. On part en croisade contre elle, dans l’espoir de manipuler le monde pour le conformer à notre vision de la réalité.
Cassez vos clichés pour y faire entrer la réalité, ne cassez pas la réalité pour la conformer à vos clichés.
Références :
Charles Chu – Mental Models, Dragonfloxes, and How to Think Real Good
Alfred Korzybski – Wikipedia – « Une carte n’est pas le territoire qu’elle représente. »