Via negativa, ou l’art de la soustraction

via-negativa

On cherche toujours à en faire plus, plus rapidement, quand la meilleure option est souvent d’en faire moins.

La perfection est atteinte, non pas quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à enlever. (Antoine de St-Exupery)

Arrêter de manger de sucre est meilleur que manger plus de légumes. Arrêter de fumer est plus bénéfique que de faire plus de sport. Privilégier le repos est plus important que d’ajouter une n-ième répétition à votre entraînement du jour.

La via negativa, c’est l’addition par la soustraction. Au lieu de chercher ce que vous pouvez ajouter à votre vie, deamndez-vous ce que vous devez enlever.

Less is more

« J’ai utilisé toute ma vie une heuristique très simple : les charlatans sont reconnaissables à leurs conseils positifs, et toujours positifs, qui exploitent notre crédulité et notre prédisposition à gober les recettes évidentes au premier abord […].

Regardez tous les guides pratiques, avec dans leur titre, « 10 étapes pour devenir riche / perdre du poids / innover / prendre du muscle ». En pratique les pros utilisent généralement la voie négative : les grands maîtres aux échecs gagnent en ne perdant pas, les gens deviennent riches en ne faisant pas faillite, les religions sont principalement basées sur des interdictions. Vous réduisez la majorité de vos risques personnels grâce à un petit nombre de mesures. » (Nassim Taleb)

À cause de notre biais pour l’action, on a du mal à réfléchir par la négative. On reconnait facilement quand tout va bien, mais on a du mal à voir quand quelque chose de négatif n’est pas arrivé.

On le voit à la façon dont le monde des affaires récompense le succès. Les entreprises lâchent des énormes bonus aux patrons qui ont augmenté le cours de l’action pendant un boom, mais ne feront rien pour ceux qui ont évité la catastrophe en temps de crise. Alors qu’à long terme, éviter la catastrophe est le chemin le plus sûr vers le succès – vous ne pouvez pas devenir riche si vous faites faillite. Comme le dit Charlie Munger, « c’est remarquable de voir sur le long terme l’avantage qu’on arrive à avoir en essayant constamment de ne pas faire de conneries, au lieu d’essayer d’être très intelligent. »

Suivre la via negativa semble être une mesure défensive, une aversion au risque. Mais en vous concentrant sur les choses à ne pas faire, vous vous mettez en position d’être plus agressif le reste du temps.

La stratégie, l’art de savoir dire non

Une bonne stratégie nécessite des leaders capables de dire non. La stratégie, c’est ce qu’une organisation ne fait pas, au moins autant que ce qu’elle fait. Ça demande de faire des choix. Donc de favoriser certains objectifs plutôt que d’autres.

Dans sa biographie de Warren Buffett, Alice Schroeder remarque que Buffett a éliminé toutes les distractions possibles de sa vie en dehors des affaires – l’art, la littérature, la science, les voyages, l’architecture – pour pouvoir se concentrer sur sa passion. Vous devez profiter des situations où vous avez l’avantage et éviter les autres.

Steve Jobs tenait le même discours :

« Les gens pensent que le focus, c’est de dire oui aux choses sur lesquelles on doit se concentrer. Mais ce n’est pas du tout ça ; c’est dire non à toutes les autres bonnes idées. Vous devez choisir très soigneusement. Je suis en réalité aussi fier de toutes les choses qu’on n’a pas faites que de ce qu’on a fait. L’innovation, c’est dire non à des milliers de choses. »

C’est la même chose pour la productivité. On nous vend toujours plus d’Apps ou de gadgets pour être plus productif parce que c’est facile à monétiser. Mais les meilleurs hacks consistent toujours à enlever quelque chose. C’est le principe du deep work de Cal Newport. Moins de notifications, moins de distractions, plus de concentration.

La via negativa au service de la science

La connaissance est soustractive, pas additive ; c’est ce qu’on soustrait (ce qui ne marche pas, ce qu’il ne faut pas faire), pas ce qu’on ajoute (ce qu’on fait). (Nassim Taleb)

Les résultats négatifs représentent des avancées énormes en sciences. Si vous prouvez par la théorie ou par l’expérimentation que quelque chose n’est pas vrai, vous pouvez passer à autre chose. Vous n’avez plus besoin de vous attacher à cette croyance, plus besoin de perdre du temps si vous savez que c’est faux.

Taleb argumente que les contributions scientifiques les plus importantes et les plus robustes sont celles qui éliminent ce qu’on pense être faux. C’est l’épistémologie soustractive : on en connait bien plus sur ce qui est faux que ce qui est vrai. Ce qui ne marche pas, la connaissance négative, est bien plus robuste que la connaissance positive. Une simple observation peut réfuter une théorie, alors que des millions d’observations ne suffiront pas à la prouver.

L’infirmation est bien plus rigoureuse que la confirmation.