Le biais du survivant

Commençons par la théorie.

Le biais du survivant consiste à surévaluer les chances de succès en considérant ceux qui ont réussi mais qui sont des exceptions statistiques – des survivants – plutôt que des cas représentatifs.

Prenons un exemple concret.

Le biais du survivant, littéralement

Vous êtes un statisticien responsable du renforcement des avions pendant la Seconde Guerre Mondiale. Vous recevez le schéma ci-dessous, qui montre les dommages causés aux avions revenus de mission. Où est-ce que vous renforcez l’avion ?

C’est la mission donnée au statisticien américain Abraham Wald pendant la guerre. Sa réponse est brillante, mais contre-intuitive. Pour minimiser la perte de bombardiers, il recommande de blinder les endroits de l’appareil montrant le MOINS de dommages.

En effet, Wald constate que les études précédentes ne tiennent compte que des avions qui sont revenus de leur mission. Les points rouges sont donc les endroits où les avions peuvent se faire tirer dessus et quand même rentrer à la base. Les avions endommagés à d’autres endroits ne reviennent pas du front. C’est donc où il n’y a pas de point rouge qu’il faut renforcer l’avion – là où les avions survivants n’ont pas été endommagés – pas le contraire.

Ça semble évident après coup, mais combien d’entre vous ont répondu qu’il fallait renforcer les zones rouges ?

C’est un exemple que j’aime bien parce qu’il est littéralement question de survie. Mais c’est pas toujours aussi facile à identifier.

L’histoire est écrite par les vainqueur

Richard Branson, Bill Gates, Mark Zuckerberg… ils ont tous quitté l’école avant de devenir milliardaires. Vous n’avez pas besoin de faire d’études pour réussir. Si vous êtes un entrepreneur, ne perdez pas de temps à l’école et lancez-vous.

Combien de fois avez-vous entendu un discours du style ?

C’est tout à fait possible qu’ils aient réussi malgré le fait qu’ils ont arrêté leurs études, pas grâce au fait qu’ils ont tout abandonné. Pour chaque Gates ou Zuckerberg, il y a des milliers d’entrepreneurs qui ont échoué, et qui se retrouvent avec un compte en banque vide et une moitié de diplôme inutile.

On se souvient des vainqueurs, jamais des perdants. La difficulté, c’est de déterminer précisément ce qui a fait la réussite d’une startup par exemple. La plupart des gens pointent du doigt des choses visibles, comme des fondateurs obsédés qui bossent 15h/j ou une super culture d’entreprise. Mais ils ignorent les 5 000 autres startups qui ont fait exactement pareil et qui ont échoué. À chaque fois que vous voyez un article du style « Voici comment LeBron James s’entraîne pendant l’inter-saison » ou « Top 5 des façons de devenir riche », c’est le biais du survivant en action.

Il y a des milliers d’athlètes qui s’entraînent comme LeBron et qui ne joueront jamais en NBA. Des milliers d’entrepreneurs qui bossent autant qu’Elon Musk et qui échouent. Le problème, c’est que personne n’entend parler d’eux. On entend seulement parler de ceux qui réussissent. Et on surestime leurs stratégies, leurs tactiques, en ignorant le fait qu’elles n’ont pas marché pour la majorité.

Le rôle de la chance

Le biais du survivant est parfaitement résumé dans cette BD de XKCD :

On pense que copier les habitudes d’Elon Musk va nous propulser dans les étoiles. Mais beaucoup de titans de l’industrie étaient surtout au bon endroit au bon moment. La chance joue un rôle important dans le succès, mais ce n’est pas quelque chose qu’on aime entendre.

On a besoin de se convaincre que tout est sous contrôle, qu’il y a une sorte de logique narrative. Ce n’est pas un hasard si Stephen Covey a vendu 15 millions d’exemplaires de son bestseller Les 7 habitudes de ceux qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent. Il manque la notion de chronologie : est-ce qu’ils ont commencé à avoir ces habitudes avant ou après avoir réussi ?

Quel est l’antidote ?

Comme souvent, pas de recette miracle. La réponse est même plutôt chiante : il faut être prudent et attentif. Quand vous pensez avoir identifié une tendance, cherchez des contre-exemples.

Et suivez la via negativa : les conseils négatifs sont plus utiles que les conseils positifs.