Comment éviter la pensée de groupe

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La pensée de groupe est un phénomène psychologique qui se produit quand les membres d’un groupe se conforment à l’opinion générale, par peur d’être ridicules. Chaque membre du groupe va s’auto-censurer et se rassurer en se persuadant que l’on est arrivé à un compromis.

Le résultat ? Une décision généralement mauvaise qui ne satisfait probablement personne en fin de compte.

À chaque fois que vous vous trouvez du côté de la majorité, il est temps de faire une pause et de réfléchir. (Mark Twain)

Ce modèle mental est parfaitement illustré dans le conte d’Andersen, Les habits neufs de l’empereur, où deux escrocs tissent une étoffe magique que seuls les incapables et les imbéciles ne peuvent pas voir. L’empereur et ses sujets sont obligés de prétendre voir les habits de peur de paraître stupides. Ce n’est qu’à la fin de l’histoire que le peuple se rend compte de la supercherie grâce à un petit garçon qui crie, « Le Roi est nu ! ».

Le fameux syndrome du « Ça me parait complètement con, mais tout le monde dit que c’est vrai, donc ça doit être vrai. Du coup je vais prétendre penser la même chose pour ne pas qu’on pense que je suis stupide. »

La pensée de groupe dans ses plus beaux apparats.

Pourquoi la pensée de groupe existe ?

Le terme est apparu dans les années 50 suite à la sortie de l’œuvre de George Orwell, 1984, puis popularisé dans les années 70. Mais on peut y trouver une explication en remontant bien plus loin, il y a 70.000 ans, à l’époque de la révolution cognitive décrite par Yuval Noah Harari.

Pendant des dizaines de milliers d’années, il nous était impossible de survivre sans faire partie d’un groupe. La pire chose qui pouvait nous arriver, c’était de se faire éjecter de la tribu. Être différent, c’était littéralement signer son arrêt de mort.

Si nous sommes aujourd’hui plus évolués que les premiers homo sapiens, notre cerveau est encore câblé comme celui de nos ancêtres. Si le risque de mourir a disparu, le besoin d’être accepté par nos pairs est encore présent.

La peur du rejet et de l’échec expliquent pourquoi on préfère échouer de façon conventionnelle plutôt que de risquer d’échouer de façon non-conventionnelle.

Ou pour reprendre un célèbre slogan des années 70, personne ne s’est jamais fait viré pour avoir choisi IBM.

Pourquoi elle est dangereuse ?

1) Elle freine l’innovation.

Les cinq mots les plus dangereux en affaires ? « Tout le monde le fait. » (Warren Buffett)

Si vous faites ce que tout le monde fait, vous obtiendrez les résultats que tout le monde obtient. Des résultats… normaux. Si vous suivez la norme, par définition, vous ne pouvez pas innover.

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Les exemples sont légions :

Tout ce qui peut être inventé a été inventé. (Charles Duell, Directeur du bureau des brevets aux US, 1899)

Qui veut donc entendre les acteurs parler ? (Président, Warner Bros, 1927)

Si Elon Musk avait écouté les croyances de l’industrie aérospatiale ? Space X n’aurait jamais vu le jour et on n’aurait pas de fusées récupérables et réutilisables aujourd’hui.

Si Steve Jobs avait suivi la norme pour les téléphones de l’époque ? Il n’aurait jamais sorti l’iPhone et son écran tactile.

2) Elle limite la performance.

Si 99 % des gens doutent de votre idée, soit vous avec complètement tort, soit vous êtes sur le point de marquer l’histoire.

Pendant longtemps, le rouleau ventral a été la technique préférée des sauteurs en hauteur. Même l’entraîneur de Dick Fosbury, qui voyait bien son protégé en difficulté avec cette technique, le forçait à l’utiliser. Malgré l’avantage évident du Fosbury, ce n’est qu’après sa médaille d’or aux JO de 68 qu’il sera popularisé, jusqu’à devenir le seul saut utilisé aujourd’hui.

6 mai 1954 : autre date mythique de l’athlétisme, autre exemple de pensée de groupe. Le 6 mai marque le jour où Roger Bannister devient le premier homme à passer sous la barre des quatre minutes au mile.

Longtemps, cette barre fut considérée comme infranchissable, comme une limite du potentiel humain. Sebastian Coe le résume parfaitement : « On ne se demandait pas quand ce serait fait, mais si c’était seulement raisonnable de l’envisager. »

Le précédent record de Gunger Hägg avait duré neuf ans, celui-ci ne durera que 46 jours. Depuis, plus de 1 300 coureurs sont descendus sous les quatre minutes.

3) La pensée de groupe est dangereuse.

La cigarette est un exemple de cas où la pensée de groupe – et les lobbies américains – est nocive pour la santé publique. Si les méfaits du tabac sont désormais connus, on peut noter l’apparition du même phénomène – toujours accompagné des lobbies américains – autour de la nutrition, et plus particulièrement du sucre.

Idem pour les voyages.

Beaucoup n’ont aucune idée de la façon dont les gens vivent à l’étranger. J’entends encore dire en 2018 que c’est dangereux d’aller en Asie par exemple, surtout si on est seul(e). À chaque fois que vous vous trouverez dans une situation où la pensée de groupe prime sur les opinions individuelles, dites-vous que ce sont ces mêmes personnes qui pensent que la Jordanie ou la Corée sont des endroits dangereux.

Comment l’éviter ?

1) Faites-vous plus confiance et faites moins confiance aux experts

Tout ce qui est autour de vous a été fait par des gens qui ne sont pas plus intelligents que vous. Une fois que vous réaliserez ça, vous pourrez arrêter de croire que la société en sait plus que vous et commencer à penser par vous-même.

Ça veut pas dire qu’à chaque fois que vous êtes d’accord avec la majorité, vous avez tort. Seulement que vous devez prendre le temps de considérer les arguments qui contredisent vos opinions, que vous devez volontairement chercher à réfuter votre hypothèse avant de prendre une décision. Au moins pour les plus importantes – peu importe si vous suivez l’opinion publique pour choisir votre dentifrice.

2) Formez une « Red Team »

Si tout le monde pense la même chose, personne ne pense vraiment. (George S. Patton)

Le Général Stanley McChrystal avait pour habitude de former une « Red Team » à chaque fois qu’il devait prendre une décision stratégique. Leur seul but était de trouver les failles de son plan, d’étudier les alternatives et de chercher les avis contraires.

Composez cette équipe de personnes n’ayant aucun intérêt dans le plan en question. Laissez votre ego de côté et désignez des gens capables de reconnaître et tuer les mauvaises idées dans l’œuf.

Vous aurez alors toutes les chances de votre côté pour prendre la bonne décision.

3) Managez en sortant de la pièce

L’exemple le plus frappant s’est passé en Octobre 1962, lors de la crise des missiles de Cuba. Face à la menace soviétique, qui commence à installer des missiles nucléaires à une centaine de kms de la Floride, John F. Kennedy fait appel à ses conseillers pour débattre sur le plan d’action. En plus de simplement rassembler des experts de plusieurs disciplines et de les encourager à exprimer leur opinion, Kennedy les divise en sous-groupes pour éviter les consensus prématurés.

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Octobre 1962 – Réunion du comité exécutif pour la sécurité nationale
(John F. Kennedy Presidential Library and Museum)

Et pour réduire les effets négatifs liés à son statut, Kennedy ne restait jamais dans ces réunions. Parfois, le meilleur moyen pour un leader de s’assurer que sa présence ne freine les discussions est de disparaître.

De la même manière, chez Amazon, les employés les plus junior doivent parler et poser leurs questions en premier. Une excellent façon de mettre la lumière les jeunes talents de l’entreprise, mais aussi une chance pour les plus seniors d’observer et de donner du feedback.

Enfin de compte, l’objectif, c’est que la meilleure idée gagne. Peu importe d’où elle vient.