Le fantasme de la jeunesse

Pourquoi les publicitaires passent-ils autant de temps à cibler les jeunes, et si peu à parler aux plus âgés ?

Selon Nielsen, les plus de 50 ans sont les plus consommateurs les plus précieux et les plus rentables. Alors pourquoi on les ignore ?

Un problème de perception

Quand vous entrez dans une agence de marketing, au bout de 10 secondes, une évidence vous saute aux yeux. Tout le monde est jeune.

Les plus de 50 ans représentent 47 % de la population aux US, mais seulement 6 % des employés en marketing. Vous avez beau avoir de l’empathie à revendre, pas facile de se mettre dans la peau d’un consommateur qui a 3 fois votre âge.

Comment expliquer cette absence de seniors dans l’industrie ? Une raison souvent est évoquée : la créativité.

« Les jeunes sont plus créatifs. »

« Les jeunes sont juste plus intelligents. »

Mark Zuckerberg

Pour évaluer ces déclarations, quittons un instant le monde du marketing – qui se vante d’être au top de la créativité – et allons faire un tour du côté des arts.

Il n’y a qu’un prix Nobel dans le monde de la créativité. Le prix de la littérature. Voici le palmarès des 10 dernières années :

Passons au prix Pullitzer maintenant. En 2019, Richard Powers remporte la catégorie “fiction” à 62 ans. Forrest Gander remporte la catégorie « Poésie » à 63 ans. Daid Blight remporte la catégorie “histoire” à 71 ans.

Direction Hollywood et les Oscars cette fois. En 2020, Joaquin Phénix remporte l’Oscar du meilleur acteur à 45 ans, Renée Zellweger celui de la meilleure actrice à 51 ans, Brad Pitt celui du meilleur acteur dans un second rôle à 56 ans, et Laura Dern celui de la meilleure actrice dans un second rôle à 53 ans. Côté réalisateur, c’est Bong Joon-Ho, 50 ans, qui rafle la mise.

Même son de cloche pour la TV avec les Emmy Awards. Côté séries dramatiques, Billy Porter, 50 ans, et Peter Dinklage, 50 ans, raflent les premiers prix chez les hommes. Côté comédies, Tony Shalhoub, 66 ans, et Alex Bornstein, 48 ans, remportent respectivement le prix du meilleur second rôle masculin et féminin.

Les plus de 50 ans sont assez créatifs pour dominer le prix Pullitzer, les Oscars et les Emmys, mais pas assez créatifs pour écrire une putain de pub sur Internet ?

Peut-être que le raisonnement est à l’envers. Que les agences « créatives » ne recherchent pas la créativité en fin de compte.

Quand on gratte le vernis, on s’aperçoit que le marketing est aussi éloigné que possible de la créativité. C’est l’une des industries les plus mimétiques et conformistes qui soient. Dès que quelque chose a été identifié comme étant à la mode, difficile de s’en détourner.

Les vieux sont riches, mais pas sexy

Aux États-Unis, les plus de 50 ans contrôlent 70% de la richesse du pays et sont responsables de plus de la moitié des dépenses. Ils dépensent plus que les autres tranches d’âge dans quasiment toutes les catégories : nourriture, meubles pour la maison, divertissement, soin personnel, automobile, etc.

Ils achètent 55% de tous les biens de consommations, et dominent 94% des catégories. Ils dépensent 2x plus que les autres adultes en ligne, ont 3x plus d’argent en banque que les autres générations, et achètent 57% des voitures neuves.

Si les plus de 50 ans étaient un pays, on obtiendrait le classement suivant :

Les agences sont obsédées par les millenials, alors qu’on assiste à un changement historique au niveau de la structure démographique mondiale.

En 1950, il y avait 3x plus d’enfants de moins de 5 ans sur Terre que d’adultes de plus de 65 ans. D’ici 2050, il y aura 2x plus d’adultes de plus de 65 ans que d’enfants de moins de 5 ans (rapport des Nations Unies).

Pourtant, les plus de 50 ans ne sont la cible que de 5% de tous les efforts marketing (AARP et Nielsen).

C’est facile de trouver des raisons pour se persuader que les jeunes, c’est l’avenir. Mais la vérité, c’est que personne n’aime les vieux. Les marketeurs sont jeunes, ils veulent l’excitation de la jeunesse, pas l’ennui de la cinquantaine ou la fragilité des retraités.

Quand on regarde les chiffres, je me dis que c’est une grossière erreur de les ignorer.

4 thoughts on “Le fantasme de la jeunesse

  1. Peut etre que les vieux aiment aussi se sentir jeune et posséder les choses que s’achètent les jeunes branchés a la mode… donc que le marketing « jeune » marche du coup aussi pour les vieux… il ny a qua regarder les pub pour les voitures… elles sont orientées pour les jeunes souvent mais ce ne sont pas les jeunes qui achètent des voitures neuves en general

    1. Très bon point.

      Deux questions me viennent du coup :

      – Est-ce que les plus de 50 ans achètent les voitures qu’on voit dans ces pubs, ou des monospaces moins sexy qui peuvent accommoder 2 adultes et 3 enfants ?

      – Plus généralement, quel est le pourcentage des vieux qui cherchent à être à la mode ? Ils sont peut-être les plus visibles, mais pas convaincu qu’ils soient les plus nombreux.

  2. Les jeunes sont un public plus facile et plus vulnérable à toute forme d’achat « geek », compulsif, aisé à convaincre.
    Vendre l’émotion, c’est ce que raconte toute bonne histoire de marketeur.
    Mais le coup de l’histoire pour vendre un truc, ça marche moins bien quand ça fait déjà quelques dizaines d’années qu’un a déjà « acheté » ces histoires.
    Donc un « vieux » (si je peux me permettre) loup sera moins aisé à convaincre qu’un jeune mouton 😉
    Merci pour la pertinence des articles.

    1. Pourquoi ces jeunes vulnérables et faciles a convaincre ne deviendraient-ils pas justement une cible encore plus facile a convaincre après avoir passé quelques dizaines d’années à construire cette habitude de consommation ?

      D’autant plus qu’ils ont bien plus de pouvoir d’achat.

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