Kayfabe : le point commun entre le catch et une bouteille d’eau

Une fois n’est pas coutume, le kayfabe est un modèle mental qui nous vient du catch. À l’origine, il s’agissait de tromper l’audience pour préserver l’illusion de la réalité des combats. Plus personne n’est dupe aujourd’hui, et pourtant la WWE fait plus d’un milliard de chiffre d’affaires chaque année.

Parce que le kayfabe, finalement, c’est un contrat entre l’audience et les artistes : le spectateur oublie le côté théâtral de la représentation et s’immerge pleinement dans les rivalités et les narratives qui lui sont présentées. Le catcheur, de son côté, s’engage à rester dans son personnage devant la caméra. Briser cette convention lors d’un show reviendrait à sortir de son rôle pour un acteur en plein film.

« On vous présente un show clairement fake en insistant que tout est réel, mais vous ressentirez des émotions authentiques. »

Aucun des deux groupes n’admet explicitement l’existence du contrat, au risque de ruiner la magie.

Pour les spectateurs de la WWE, le côté factice et le côté réel coexistent en paix. Si vous demandez à un fan si le match ou la bagarre en coulisses sont truqués, la question n’aura pas de sens. Autant demander à un amateur de montagnes russes s’il sait qu’il n’est pas vraiment sur un chariot de mineur. L’artifice est non seulement compris mais apprécié : le performer tient assez aux émotions du spectateur pour réellement les influencer.

Le kayfabe n’a rien à voir avec la véracité des faits, et tout à voir avec la fidélité des émotions.

J’ai découvert ce concept dans cet article d’Alex Danco (au passage, lisez tout ce qu’il écrit, il est fantastique), mais ça n’avait jamais tiqué pour moi. Sûrement parce que je ne suis pas un fan de catch. Mais récemment, j’ai réalisé la puissance de ce concept via un exemple inattendu : Liquid Death.


Liquid Death, c’est une canette de 500mL au style punk/hard rock assumé, qui ressemble à ça :

Vous avez bien lu, à l’intérieur, il n’y a rien d’autre que de l’eau de source venant des montagnes autrichiennes. 1,69$ pour une canette d’eau. Génie.

Pendant le Vans Warped Tour de 2008, Mike Cessario – le fondateur – remarque que si Monster sponsorise la plupart des groupes de rock, les artistes préfèrent boire de l’eau sur scène. Sauf que pour des raisons d’images – boire une bouteille d’Evian, c’est pas super punk – l’eau est conditionnée dans des canettes Monster. C’est là que nait l’idée de Liquid Death, sur un prémisse simple : pourquoi ne pas créer une marque d’eau que les groupes de rock auraient envie de boire en public ?

La première fois que j’en ai entendu parler, j’avais trouvé l’idée cool, mais je me souviens avoir pensé que c’était stupide. J’avais tort.

Les idées géniales ressemblent souvent à des conneries au départ.

Si vous demandez de l’eau au barman d’un festival rock ou dans un bar avec vos potes, vous savez que les gens vont se foutre de votre gueule. Dans le meilleur des cas, le barman vous refilera un pauvre verre d’eau en plastique avec une paille pour bébé. Pas évident à assumer au milieu de tous ces hardos au look énervé.

Mais si vous vous baladez avec une canette de Liquid Death, de suite, vous allez l’air badass. Même si tout le monde sait que c’est de l’eau. De la même manière que pour le catch, il existe un kayfabe entre le barman, l’artiste et le spectateur : c’est cool de boire Liquid Death.

Une preuve de plus que la rationalité n’a pas sa place dans le marketing.

La fidélité des émotions éclipsera toujours la véracité des faits.