En 1965, un dénommé André-François Raffray accepte de payer une vieille femme de 90 ans 2.500 francs par mois jusqu’à sa mort, à condition qu’il devienne propriétaire de son appartement à Arles suite à son décès.
À l’époque, l’espérance de vie moyenne pour les femmes en France est de 74,5 ans. Raffray, alors âgé de 47 ans, est certain qu’il vient de faire une affaire en or. Malheureusement pour lui, la femme en question s’appelle Jeanne Calment. Elle vivra encore 32 ans après son deal avec Raffray, et lui survivra même puisqu’il finira par mourir à 77 ans. Il aura donc payé plus du double de la valeur marchande d’un appartement dans lequel il n’aura finalement jamais mis les pieds.
Raffray aura appris à ses dépends que la moyenne n’est pas un bon moyen pour représenter une population.
Dans des larges groupes, les cas extrêmes s’annulent. Mais la présence de cette variance est la raison pour laquelle on ne peut pas faire de prédiction pour un individu particulier.
Parce qu’en moyenne, on a tous un testicule et un ovaire.
Vous devriez déjà être mort
Si l’espérance de vie moyenne est de 83 ans, on entend dire qu’à 78 ans, vous pouvez espérer vivre encore 5 ans, et que vous devriez planifier le reste de votre vie en conséquence (cf. assurances, banquiers).
Mais si vous avez 90 ans ? Votre espérance de vie passe à -7 ans du coup ? Vous devriez déjà être mort ?
Ça reviendrait à dire : « Cette opération a un taux de mortalité de 1%. On a opéré 99 personnes avec succès jusqu’à présent, donc comme vous êtes le centième, vous avez 100% de chances de mourir aujourd’hui. »
C’est la différence entre durée de vie inconditionnelle et durée de vie conditionnelle.
À la naissance, votre durée de vie inconditionnelle est d’environ 83 ans. Mais au fur et à mesure que vous vieillissez, votre durée de vie augmente avec l’âge. Pourquoi ? Parce que les autres gens, en mourant, prennent votre place dans les statistiques (la durée de vie étant une moyenne). Donc si à 83 ans vous êtes en bonne santé, vous avez peut-être encore 5 ans de vie devant vous. À 88 ans ? Vous vivrez peut-être encore deux ans de plus. Après tout, même un centenaire a une espérance de vie positive.
Dès que vous tombez sur une moyenne, pensez à vérifier la variation autour de cette moyenne.
La moyenne n’est pas le message
Ce qui compte ne peut pas toujours être mesuré, et ce qu’on peut mesurer ne compte pas forcément.
(Albert Einstein)
Si Jeff Bezos entre dans un bar, le client moyen devient milliardaire. Vous en faites quoi de cette information ? C’est le risque aujourd’hui, quand les algorithmes mesurent tout et n’importe quoi.
Si l’anecdote contredit les données, suivez l’anecdote.
Les entreprises utilisent les notes et les commentaires pour évaluer leur service client. Mais la satisfaction client n’est pas linéaire : un client mécontent fera plus de bruit qu’un client satisfait. Dans un tel système, la moyenne n’a pas d’intérêt. Si sur 1000 clients, 990 vous notent 5/5 et les dix autres 0/5, votre note moyenne sera de 4,95/5. La quasi-perfection. Mais vous feriez mieux de vite vérifier pourquoi dix personnes vous ont mis une bulle.
Faites plus attention aux commentaires avec 1⭐ sur Amazon ou Airbnb. Ils apportent souvent plus d’information que ceux avec 5⭐.
La non-linéarité des systèmes complexes
Moins un système est linéaire, moins la moyenne a d’importance. Il vous faut une deuxième dimension : la variation autour de cette moyenne.
Dans un système complexe (donc non-linéaire), la moyenne n’apporte aucune information utile. Comme la moyenne et la somme sont mathématiquement équivalentes à une constante près, l’erreur de la moyenne se traduit aussi par l’erreur de la somme, de l’agrégation des données. Analyser le fonctionnement de l’ensemble d’après le comportement d’une des parties est donc inutile ici.
Boire dix verres d’eau n’apporte pas dix fois plus de bénéfices que d’en boire un seul. Comme les bénéfices ne sont pas linéaires, la consommation moyenne importe peu. Ce qui compte, c’est la régularité, la volatilité. Si vous devez boire 1L par jour et que je vous donne 10L le premier jour mais rien les 9 suivants, vous aurez en moyenne 1L par jour. Mais vous n’allez probablement pas survivre. Votre consommation d’eau doit être aussi régulière que possible.
Trop de volatilité pourrait vous tuer ici. Et parfois, c’est l’inverse, un manque de volatilité vous rend fragile.
Plus de volatilité, moins de risques
La santé est un domaine où la volatilité est considérée, à tort, comme négative. On gagnerait à en rajouter dans sa vie. En alternant par exemple des séances intensives où on soulève des poids lourds, et des longues périodes de repos. Le stress pousse le corps à surcompenser et à se préparer aux efforts futurs, et le repos lui permet de récupérer et de s’adapter.
C’est l’exact opposé de ce que les conseils habituels recommandent : un peu de sport chaque jour, évitez toute forme de stress, mangez enter 2.200 et 2.500 calories par jour, etc.
Tous ces conseils sont focalisés sur la moyenne, quand c’est la variance qui importe. C’est le stress chronique qui nous détruit à petit feu, pas le stress dans l’absolu. Pour augmenter votre capacité de réponse aux variations environnementales, alternez entre périodes intenses et repos, entre festin et jeûne, entre luxe et pauvreté.
Embrassez la volatilité au lieu d’essayer de l’éliminer de votre vie. Dans un système complexe, la modération est souvent l’ennemi de la croissance.
L’antifragilité des effets du second ordre
L’antifragilité réside dans les effets du second ordre (la moyenne étant l’effet du premier ordre). Une erreur courante est de les ignorer lorsqu’on analyse des données empiriques.
Les recommandations nutritionnelles moyennes – sans information sur la fréquence – sont une parfaite représentation de cette erreur.
Difficile d’en tirer une règle générale, mais si les effets du second ordre sont négatifs (par exemple, avec le sucre), il vaut mieux plus de volatilité.
Allouer un cheat day dans la semaine où vous vous gavez de gâteaux/glaces/bonbons est meilleur pour la santé (ou moins mauvais) que de manger la même quantité de sucre mais répartie dans la semaine.
À l’inverse, si les effets de second ordre sont positifs, comme dans notre exemple de l’eau ci-dessus, la régularité sera importante. Vous voulez alors le moins de volatilité possible.
Pour paraphraser le parrain de l’antifragilité, Nassim Taleb, si vous ne savez pas nager, évitez de traverser une rivière de 30 cm de profondeur en moyenne. Et ne jouez pas à la roulette russe, même si, en moyenne, vous avez 83,3% de chances de gagner.