La chance et le risque sont le reflet l’un de l’autre. Vous ne pouvez pas comprendre l’un sans tenir compte de l’autre.
Si le risque est ce qui se passe quand vous prenez une bonne décision qui se termine mal, la chance est ce qui se passe quand vous prenez une mauvaise décision qui se termine bien. Dans les deux cas, le monde est trop complexe pour que 100 % de vos actions déterminent 100 % de vos résultats. Vous êtes une personne parmi 7 milliards, et l’impact des actions des autres peut être plus grand que le vôtre.
Les investisseurs consacrent énormément de temps et d’argent à identifier et manager le risque. Mais rien pour la chance. On entend parler de risk manager, jamais de consultant en chance. Les entreprises sont légalement tenues de divulguer leurs risques dans les rapports annuels ; elles ne parlent jamais des coups de chance qui leur ont valu leur succès. Leurs performances sont toujours ajustées selon les risques, jamais selon la chance.
La chance est un concept plus fondamental que la causalité. (Max Born)
Le risque et la chance sont les deux faces de la même médaille, mais on considère le premier comme crucial et on ignore le second (surtout quand il s’agit de notre réussite à nous). C’est en partie à cause de l’ego, mais surtout à cause de notre désir d’identifier ce qui marche, d’identifier les patterns qui vont continuer à nous faire gagner. On aime entendre ces histoires logiques, où le hasard et la chance n’ont pas leur place.
Mais si l’expérience du risque vous force à reconnaître qu’il y a des choses en dehors de votre contrôle, l’expérience de la chance n’a pas le même effet. Elle génère un faux sentiment de contrôle, qui vous fait croire que vous avez eu le résultat espéré grâce à ce que vous avez fait. Une illusion négative à long terme.
Quelques leçons que l’on peut tirer du risque
Les bons investisseurs essaient de quantifier le risque. Ils devraient en faire autant pour la chance. Les VC s’attendent à ce que la moitié de leurs investissements échouent. Les investisseurs publics savent qu’il y a une correction des marchés d’environ 30 % tous les 5 ou 10 ans. Jeff Bezos parle de l’importance pour Amazon d’accepter les projets qui échouent. Quid de la chance ? Analysez le pourcentage de vos investissement/projets qui ont été chanceux et qui du coup ne seront pas répétés, et vous éviterez les mauvaises surprises.
Les gens ont autant de mal à accepter les risques pouvant mettre un terme à leur réussite que d’accepter le rôle de la chance dans leurs succès passés. Dire à quelqu’un qu’il a eu de la chance est insultant, parce que ça diminue l’importance de ses efforts. Mais le risque s’en fout de savoir combien de temps ou d’argent vous avez investi dans un projet. Idem pour la chance. Les deux se pointent toujours à l’improviste, désireux de vous rendre plus humble. La seule différence, c’est que le risque vous ramène à la réalité dès son arrivée, alors que la chance le fait à la fin du chemin, quand elle disparaît..
Vous pouvez manager le risque et la chance. Vous pouvez les ignorer. Mais vous ne pouvez pas vous en débarrasser.
Le risque est difficile à définir, et n’a pas la même signification selon la personne à qui vous demandez. Idem pour la chance. Un sans-abri qui gagne au loto est chanceux. Mais un Français ou un Américain qui nait dans une famille aisée l’est aussi. C’est un autre type de chance. Un type plus dangereux, parce que la chance structurelle est plus difficile à identifier, parce qu’on s’y habitue. Ça fausse notre perception du monde, et c’est toujours plus difficile à accepter quand ça se retourne contre nous.
Le risque réduit la confiance et rend les gens plus conservatifs. La chance, elle, augmente la confiance sans augmenter l’aptitude, ce qui amplifie aussi nos réactions. Non seulement vous allez essayer de répéter l’action chanceuse, mais vous allez le faire avec encore plus de confiance en vous.
Vous êtes plus chanceux que vous ne le croyez
On connaît tous l’adage, « c’est pas de la chance, c’est du talent. » C’est tentant de penser comme ça, mais imaginez un instant le même genre de discours à propos du risque : « Le tremblement de terre n’était pas un risque, nous n’avons juste pas travaillé assez dur pour le prédire. » Réaliser que la chance et le risque font tous les deux partie du jeu vous aide à accepter que certaines choses sont hors de votre contrôle.
C’est pourquoi Moran Cerf, professeur en neuroscience à Kellogg, encourage ses étudiants chaque semestre à noter les fois où ils ont pris des risques et que ça a payé. Chaque fois qu’ils ont dépassé la vitesse limite sur l’autoroute sans avoir d’amende. Chaque fois qu’ils ont traversé la rue au feu vert sans avoir d’accident. À la fin du semestre, les étudiants regardent leurs notes et très souvent, ils sont surpris de voir la chance qu’ils ont.
« Ils peuvent se rendre compte s’ils sont chanceux ou pas, » raconte Cerf. « Et la plupart d’entre eux le sont. C’est justement ça l’idée. »
Différencier la chance du talent
La chance compte énormément. Peu importe tout ce qu’on entend, il ne suffit pas juste de travailler dur. Tout en haut de l’échelle, le monde n’est pas une méritocratie, et ne l’a jamais été. Nassim Taleb aime répéter que « vous pouvez avoir une BMW ou un poste de professeur titulaire en travaillant dur, mais vous avez besoin de chance si vous voulez un jet privé ou un prix Nobel. »
Plus la chance influence les résultats que vous observez, plus vous aurez besoin d’un large échantillon pour faire la différence avec le talent. Le feedback basé seulement sur les résultats est inutile s’il ne fait pas la différence entre les deux.
Il y a un moyen simple de vérifier si une activité demande du talent : demandez-vous si vous pouvez faire exprès de perdre. Prenez la roulette ou les machines à sous par exemple. Vous ne pouvez pas être sûr de perdre ou sûr de gagner, ça ne dépend pas de vous. Si vous pouvez faire exprès de perdre, c’est qu’il faut du talent.
Si vous n’êtes pas convaincu, voilà une autre bonne raison de ne pas négliger le rôle de la chance :
Il faut bien croire à la chance. Sinon, comment expliquer la réussite de ceux que nous n’aimons pas. (Jean Cocteau)