Californie, fin des années 1980. Tout le monde s’agite à l’usine de Frito-Lay, une entreprise mexicaine spécialisée dans les snacks en tout genre. La raison ? Le CEO, le CMO et un palanquée de dirigeants sont venus écouter ce que Richard Montañez a à dire.
Montañez n’a rien en commun avec ces gens-là. Il n’est ni dirigeant, ni cadre, et sait à peine lire et écrire. Montañez n’est que le concierge de l’usine, mais il a une idée derrière la tête – une idée qui rapportera des milliards de dollars à l’entreprise. Les mythiques Flamin’ Hot Cheetos.
Chaud devant
Montañez raconte comment s’est terminée la réunion :
Me voilà soudain – moi, un concierge qui gagne 4$ de l’heure – en train de présenter devant certains des dirigeants les plus compétents d’Amérique.
À un moment de la présentation, un des dirigeants dans la salle me pose la question : « Quelle part du marché pensez-vous obtenir ? »
C’est là que j’ai réalisé que je n’avais aucune idée de ce dont il parlait, ni de ce que je faisais. Tremblant, manquant de m’évanouir, j’ai écarté les bras et répondu : « Tout ça ».
Silence dans la salle. Je n’avais même pas idée à quel point j’avais l’air ridicule. Puis le CEO a souri, et s’est levé :
« Mesdames et Messieurs, est-ce que vous réalisez qu’on a la possibilité d’obtenir tout ça comme parts de marché ? » en écartant à son tour les bras.
Puis il s’est tourné vers moi et m’a dit : « Laissez tomber cette serpillère Montañez, vous venez avec nous. »
En 1992, Flamin’ Hot Cheetos obtient le feu vert de la direction. Et comme ils disent de l’autre côté de l’Atlantique : the rest is history.
Le snack devient rapidement le produit le plus vendu de la marque, et Montañez finira par gravir tous les rangs de la hiérarchie, passant de concierge à VP des ventes pour PepsiCo (qui possède Frito-Lay).
Une histoire de crédit
Dans son passage sur le podcast de Bill Simmons, Bryan Cranston raconte que l’idée derrière l’une des scènes mythiques de la série Seinfeld ne vient pas des scénaristes, mais d’un technicien son et lumière – le gars qui monte sur une échelle pour pointer un spot sur les acteurs. Il explique que le plus dur, pour un comédien comme pour un CEO, c’est de savoir écouter toutes les suggestions qui nous parviennent. Et faire en sorte que la meilleure idée gagne, peu importe d’où elle vient.
C’est incroyable tout ce qu’on peut accomplir quand on se moque de qui récupèrera le crédit.
Harry Truman
Ça parait évident, mais c’est rarement la façon dont les entreprises opèrent. Surtout les grosses. Parce que quand votre hiérarchie est trop lourde, obtenir le crédit pour une idée prend le dessus sur le reste. Le fond prend le pas sur la forme. Et les bonnes idées difficiles à articuler sont rarement écoutées.
Le fond avant la forme
Un bon narrateur avec une idée moyenne est plus persuasif qu’une personne inarticulée avec la bonne réponse.
C’est pour cette raison que toutes les entreprises ont des équipes marketing. Mais combien d’entre elles sont conscientes du nombre de personnes dans leurs propres bureaux qui ont les bonnes réponses, mais sont incapables de les communiquer ?
Morgan Housel a cet exemple de conversation fictive intéressante :
– Pourquoi vous avez un équipe marketing ?
– Parce que la façon de communiquer une idée qui attire l’attention des gens est une compétence unique. Vendre un produit est totalement différent de la façon de le concevoir ou de le fabriquer.
– Comment vos équipes design et produit proposent leurs nouvelles idées ?
– Elles pitch les managers en réunion.
– Mais vous venez juste de dire que pitcher demande des compétences totalement différentes des leurs ?
L’exemple d’Amazon
Les managers chez Amazon doivent préparer des mémos de plusieurs pages pour proposer leurs nouvelles idées. C’est une excellente initiative, mais on retrouve le même problème :
Ce n’est pas une surprise, la qualité de ces mémos varie énormément. Certains ont la clarté des anges. Ils sont brillants et donnent naissance à des discussions de qualité. Et parfois, ils tombent de l’autre côté du spectre.
Jeff Bezos
Je suis curieux de connaître la corrélation entre la qualité et la beauté de ces mémos et le succès des propositions. L’ironie, c’est qu’on ne le saura probablement jamais parce que les mémos inintelligibles sont tués dans l’œuf.
Ce n’est pas une critique per se, parce qu’il faut bien filtrer les idées, et que le pouvoir de persuasion d’une idée est un filtre raisonnable. Le challenge pour une organisation, c’est de laisser les employés tester des idées qui leur sont chères, mais qu’ils n’arrivent pas à articuler assez bien pour convaincre leurs pairs.
L’antidote
Demandez à ceux qui n’ont pas la parole habituellement ce qu’ils en pensent. Allez parler à ceux qui s’occupent du service client, qui parlent aux clients tous les jours. Allez parler à ceux qui fabriquent vos produits sur la ligne d’assemblage. Allez parler à ceux qui sont proches des utilisateurs au quotidien.
Demandez à vos équipes et vos collègues leurs avis. Tout le monde n’est pas forcément à l’aise à l’oral devant beaucoup de personnes, donc utilisez des formats différents. Présentations, mémos, boites à idées anonymes… créez un climat favorable à cet échange d’idées.
Toujours l’élève, jamais le maître
Je termine avec ce clip de Dwyane Wade qui raconte son meilleur souvenir avec Kobe :
“Je reçois un coup de fil de Kobe, l’un des meilleurs basketteurs de tous les temps, qui me demande des conseils à moi, un jeune joueur nouveau dans la ligue. ”
Vous pouvez toujours apprendre quelque chose de nouveau. Alors mettez votre ego de côté et n’ayez pas peur de demander de l’aide.
Vous ne savez jamais d’où la meilleure idée peut venir.
Notes :
Je recommande l’article de The Hustle qui raconte l’histoire entière de Richard Montañez et de ses Flamin’ Hot Cheetos. Aussi fascinant qu’inspirant.