L’écriture telle qu’on la connait aujourd’hui remonte à 3.000 ans. Avant ça, la connaissance se transmettait à l’oral ou par des images (peintures, hiéroglyphes, etc.). On a évolué pour communiquer visuellement, pour déchiffrer le langage corporel et les expressions du visage.
Une image vaut mille mots.
Difficile de définir le ratio exact, mais l’idée est là. Avec juste une photo et un émoji, vous pouvez décrire vos émotions, où vous êtes, avec qui et ce que vous faites en quelques secondes. Là où même chose par écrit demanderait 30min et plusieurs paragraphes.
Pourtant la société moderne est basée sur des écrits, sur du texte. À l’école, on nous apprend à lire et à écrire, tout est centré autour de la communication par écrit. Mais nos yeux ne sont pas juste faits pour lire des petits caractères noirs sur fond blanc.
Du coup, c’est intéressant de constater l’hégémonie, au moins chez les plus jeunes, des réseaux sociaux dont le produit est basé sur l’image et la vidéo (Snap, TikTok, Instagram). Doublement intéressant quand on remarque que les émojis aussi occupent une place grandissante dans la façon dont on communique aujourd’hui.
La supériorité de l’image sur le texte
Les meilleurs profs utilisent des images, ils racontent des histoires. C’est la façon dont on a transmis les récits et les leçons de génération en génération pendant des milliers d’années : impossible de retenir la Bible ou l’Iliade et l’Odyssée autrement.
D’ailleurs, quel est le point commun entre tous les livres sur la mémoire ?
Ils conseillent d’encoder un texte en image pour mieux le retenir. C’est la technique du palais de la mémoire, qui consiste à remplacer le texte par des images marquantes et à les placer dans un lieu familier. On retient beaucoup mieux visuellement, et pourtant on n’utilise les images qu’avec les tout-petits. Pour une raison inconnue, on arrête de le faire avec les adultes
Je comprends bien mieux un concept fondamental en physique en regardant une vidéo sur YouTube qu’en recopiant bêtement un cour écrit au tableau dans un amphi.
Cette prof l’a bien compris, pas besoin de 1,000 mots quand une image forte suffit :
Et pourtant, quand on regarde les papiers académiques, on n’y retrouve jamais d’histoires et très peu d’images. Seulement des formules et des mots compliqués, avec un style lourd qui se veut intellectuel.
À se demander si le but des auteurs est de paraître intelligent plutôt que de partager leurs découvertes.
Visualiser, c’est apprendre
Le cerveau ne fait pas la différence entre un véritable souvenir et un souvenir imaginaire visualisé. Quand on imagine quelque chose de façon nette, la chimie cérébrale change comme si c’était vraiment arrivé. Et notre esprit l’enregistre comme un vrai souvenir. En visualisant, on active les mêmes zones du cerveau que lorsqu’on fait l’action. Ça ne remplace pas l’expérience directe, mais ça raccourcit le chemin.
Je n’ai jamais joué un coup sans en avoir une image très précise dans la tête, même à l’entraînement. (Jack Nicklaus, légende du golf)
À quel point vous seriez meilleur dans votre domaine si vous pouviez suivre l’expert de votre choix et le regarder bosser toute la journée ?
Il y a quelques années, je jouais beaucoup en ligne. Je me souviens du moment où le niveau a explosé : dès que les meilleurs joueurs ont mis en ligne des vidéos. Peu importe le jeu, le niveau général monte en flèche dès que les joueurs peuvent passer des heures à regarder les meilleurs jouer. Pas étonnant que Twitch soit aussi populaire.
La tendance est aussi vraie pour les sports extrêmes. Depuis l’avènement de la vidéo, tous ces sports sont passés dans une autre dimension. Ski, BMX, surf, snowboard, parkour, plongeon – peu importe le sport, le niveau est devenu complètement fou.
Saint Thomas n’avait pas tort : si on le voit, on le croit. Et on peut s’imaginer en train de le faire. En visualisant, on renforce les circuits neuronaux dans notre cerveau, chose impossible avec juste du texte.
Le texte est sa propre limite
Le manque de vocabulaire est une autre explication possible à la suprématie de l’image sur le texte.
En plus de notre difficulté à retenir des chiffres et des lettres, on a du mal à décrire certaines choses avec des mots. Mais quand on les voit, tout s’explique. Pour en revenir au sport, c’est flagrant à l’escalade par exemple : montrer un move à quelqu’un est bien plus efficace que de lui décrire avec des mots.
Parfois, c’est le choix des mots qui pose problème. Les Américains aiment parler de war on drugs ou de war against poverty, sans se demander si la guerre est la métaphore appropriée. Façon de parler me direz-vous, mais l’impact n’est pas anodin. La guerre contre la pauvreté n’a pas de sens parce que la pauvreté n’est pas quelque chose que l’on peut vaincre.
Même problème en science. Neil deGrasse Tyson, superstar de l’astrophysique, se plaignait de l’appellation « matière noire » parce qu’elle induisait les physiciens en erreur. En effet, difficile de ne pas se mélanger les pinceaux quand on sait que la matière noire n’est en fait pas de la matière.
Autre exemple, plus parlant peut-être, le réchauffement climatique. L’importance des mots – et leur limite – prend tout son sens ici : beaucoup sont contents de rester dans le déni parce qu’ils considèrent que c’est une connerie de parler de réchauffement climatique alors qu’ils ont des hivers plus rudes. On parle de changement climatique maintenant, mais le mal est fait. La plupart des gens ont pris le mot au pied de la lettre, ils ne changeront plus d’avis.
Une fois n’est pas coutume, on gagnerait à prendre exemple des réseaux sociaux, en remettant l’image sous le feu des projecteurs.
Pour mettre à profit des millions d’années d’évolution, je propose d’instaurer les cours de dessin, de photographie et de vidéo à l’école. Ça reste encore le meilleur moyen de communiquer ses idées.