L’erreur fondamentale d’attribution : pourquoi prédire le comportement est-il si compliqué ?

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Le président américain Lyndon Johnson était un tyran et un menteur, qui a truqué sa première élection au Sénat en 1948. Il était aussi l’un des plus ardents défenseurs des droits civils à une époque où aucun homme politique, aucun homme blanc, ne voulait en entendre parler.

Henry Ford a modernisé l’industrie automobile et l’a rendue accessible aux masses, tout en payant généreusement ses employés et en les traitant avec respect. Mais il est aussi connu pour être antisémite.

Si les traits de caractère étaient vraiment transposables à toute situation, comment expliquer ces cas ?

L’erreur fondamentale d’attribution

L’erreur fondamentale d’attribution consiste à accorder une importance disproportionnée aux caractéristiques internes d’une personne (caractère, intentions, émotions, connaissances, opinions) au détriment des facteurs externes et situationnels quand on analyse son comportement.

Idée reçue : le comportement des gens reflète leur personnalité.

Vérité : le comportement des gens est davantage le résultat de la situation que de leur caractère.

Si quelqu’un vous passe devant dans la file d’attente, votre première réaction sera de vous dire que c’est un enfoiré. Mais il est possible qu’il ne coupe jamais la file, et qu’il le fasse cette fois-là seulement parce qu’il va rater son vol, celui qu’il doit prendre pour aller voir sa mère sur son lit d’hôpital.

Il est intéressant de noter qu’on fait cette erreur fondamentale d’attribution avec les autres mais jamais avec nous-mêmes. Quand on fait quelque chose, on une bonne raison. Pas les autres.

Si tout le monde était plus comme moi, le monde serait un meilleur endroit !

  • Une personne en colère formule des critiques violentes. On attribue ses propos à la colère (cause interne) plutôt qu’à la situation qui a provoqué la colère (cause situationnelle). Ce raisonnement est couramment utilisé pour décrédibiliser un argumentaire sans avoir à le déconstruire logiquement.
  • Une personne glisse et tombe. Elle attribue sa chute au chemin glissant (cause situationnelle). Mais la même personne qui voit quelqu’un d’autre tomber au même endroit attribuera sa chute à sa maladresse (cause interne).
  • Un groupe de travail prend du retard sur le planning. Un collaborateur décide de prendre les choses en main et émerge comme leader. Il attribuera sa décision à la désorganisation du groupe (cause situationnelle). Si son collègue prend la même décision à sa place, il l’attribuera à son ambition personnelle (cause interne).

L’effet Julien Lepers

Lee Ross a introduit l’erreur fondamentale d’attribution dans une expérience où il démontre notre propension à favoriser les causes internes (Amabile, Ross, Steinmetz, 1977).

Dans cette expérience, un premier sujet – l’interrogateur – interroge un autre sujet – le questionné. Les questions portent sur la culture générale et sont rédigées par le questionneur en fonction de ses propres compétences et centres d’intérêt. Des observateurs doivent ensuite évaluer le niveau de culture générale de l’interrogateur et du questionné. Le questionné ne sait bien évidemment pas toujours répondre aux différentes questions qu’a choisies l’interrogateur.

L’expérience montre que c’est toujours l’interrogateur qui est jugé le plus cultivé, alors qu’il est évident que le contexte lui est favorable.

Cette erreur est appelée l’effet Julien Lepers tout simplement parce que c’est l’impression qui se dégage de Questions pour un Champion, où Julien Lepers apparaît plus intelligent que les candidats alors qu’il ne montre aucun cas sa culture générale à lui pendant l’émission.

Une question de point de vue

Prenons l’expérience de Gerald Salancik réalisée dans les années 70, où une personne doit contrôler un train miniature et un observateur est chargé de la surveiller. Salancik change alors, à leur insu, la puissance du train, l’accélérant et le ralentissant sans prévenir, jusqu’à le faire dérailler.

Le conducteur se rend vite compte qu’il n’a en réalité aucun contrôle sur le train. Mais l’observateur ne voit pas les choses de la même manière. Il ne voit pas que ces changement de vitesse sont hors de son contrôle, il voit seulement une personne incapable de gérer le train. Et automatiquement, il attribue cette mauvaise gestion du train au manque de compétences et d’efforts du conducteur – physiquement présent devant lui – sans tenir compte des véritables raisons du déraillement, invisibles à ses yeux.

De la même manière, quand on regarde les entreprises, on ne voit que les personnes en charge de les faire fonctionner. On ne voit ni les contraintes qui les impactent leur comportements ni les incitations sous-jacentes.

On accorde trop de crédit aux responsables quand tout va bien, et on les blâme trop vite quand tout va mal. On oublie le rôle de la chance, et on néglige l’impact de l’environnement.

C’est pour ça qu’on conclut souvent à tort que les entreprises qui réussissent ont des managers brillants, et que celles qui échouent sont gérées par des incapables.

Prédire le comportement, vraiment ?

Le problème avec le concept de caractère motivant le comportement est que le caractère en soi est difficile à cerner. On qualifie quelqu’un de moral ou d’honnête, de courageux ou de naïf, en supposant que s’il est honnête dans une situation spécifique, il le sera aussi le reste du temps. Que s’il a fait preuve de courage une fois, il sera courageux peu importe la situation.

On suppose que les gens ont des traits de personnalité, des vertus et des vices donnés et fixes peu importe la situation. Dans toutes les langues, il existe des proverbes attestant cette croyance :

Qui vole un œuf vole un bœuf.
Qui dit un mensonge en dit cent.
Qui ment vole et qui vole ment.
Qui a bu, boira.

Si cette croyance populaire était correcte, alors nous devrions facilement pouvoir prédire et expliquer le comportement humain. Une seule action suffirait à révéler une disposition particulière et nous permettrait de prédire un comportement.

C’est une façon naturelle d’appréhender le comportement humain. On aime à penser que les actions en « disent long » sur le caractère d’une personne. Mais le caractère n’est pas plus constant que la situation qui le façonne.

Un garçon calme et timide sur une aire de jeu peut être extraverti et agressif entouré de ses amis. Une autorité morale au sein d’une institution religieuse peut mentir sur sa déclaration d’impôts. Une personne qui manque de respect à ses amis peut se comporter avec révérence envers sa famille.

C’est pour ça que c’est aussi dur d’embaucher de nouveaux employés, parce qu’on ne peut pas s’empêcher de penser que ce qu’on observe pendant les entretiens est représentatif des compétences générales du candidat.

Mais ça ne veut pas dire qu’on a toujours tort de généraliser. Comme ça ne veut pas dire que Julien Lepers n’a pas de culture générale.

Il faut seulement distinguer l’importance du contexte et celle de la personnalité, et prendre le temps d’analyser la situation avant de tirer ses conclusions.