L’atomisation de l’entreprise

Pourquoi les entreprises existent-elles ?

C’est la question à laquelle Ronald Coase essaie de répondre dans The Nature of the Firm.

Dit autrement, pourquoi y a-t-il des employés ? Ou si on inverse le problème, pourquoi tout le monde ne bosse pas en freelance ?

Pour y répondre, considérons un système de production avec plusieurs individus représentés par les nœuds d’un réseau.

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Chaque individu contribue à différentes parties du système de production, mais nécessite des inputs de la part des autres individus du système.

La coordination entre ces individus a lieu via des transactions.

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À travers ces transactions, les individus atteignent un équilibre entre ce qu’ils produisent, combien ils produisent et combien ils gagnent. C’est ce que les économistes appellent l’équilibre Walrasien.

Mais la réalité est différente. Certains individus se regroupent pour travailler ensemble en tant qu’entreprise, dont la marque distinctive est le remplacement du mécanisme de prix. Au lieu d’avoir les transactions nécessaires sur le marché, tout est planifié de manière centralisée par la hiérarchie.

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Pourquoi les individus ne continuent pas à agir indépendamment et à coordonner leurs prix dans un marché libre ? Pourquoi ces entreprises émergent-elles ?

D’après Coase, les entreprises émergent naturellement à cause des couts de transaction.

Ces coûts de transaction peuvent être dûs à une asymétrie de l’information, à des coûts de séquestre, à la rédaction ou la signature d’un contrat, etc. Ils ajoutent de la friction aux transactions du marché, qui rendent le mécanisme de prix habituel d’un marché libre plus compliqué et plus cher.

La création d’une entreprise permet de réduire cette friction en rassemblant des gens sous un même toit, éliminant ainsi leur besoin d’échanger entre eux, et donc les coûts de transaction qu’ils auraient dû payer sur le marché.

C’est ce qui se passe quand une entreprise embauche un avocat au lieu de payer un cabinet pour chaque question juridique, ou un graphiste pour éviter d’avoir à payer une agence à chaque nouveau prototype.

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Si la raison d’être d’une entreprise est de réduire les coûts de transaction associés au marché libre, dans un monde sans coût de transaction, elle deviendrait inutile. Et l’équilibre Walrasien prédominerait. L’entreprise est donc l’antithèse du marché : à la différence de ce dernier, elle est planifiée de manière centralisée, éliminant le besoin d’avoir des signaux de prix entre les individus.

L’entreprise centralise ce qui est décentralisé quand les coûts associés à la décentralisation deviennent trop élevés.

Elle aide l’écosystème à ressembler au marché libre équilibré qui existerait s’il n’y avait pas de coûts de transaction.

Coase prédit que les écosystèmes avec des coûts de transactions élevés ont tendance à créer des entreprises plus grosses. À l’inverse, des coûts de transactions réduits engendrent des entreprises de taille plus réduite.

Aujourd’hui, chaque écosystème contient plusieurs entreprises de tailles différentes, produisant différents types de biens, tout en incluant des individus en freelance naviguant au sein du marché.

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Dans la limite où les coûts de transaction tendent vers zéro, l’entreprise n’a plus lieu d’être et tout le monde devient auto-entrepreneur.

Vers l’atomisation de l’entreprise

Grace à des outils comme AWS (pour l’infrastructure), la blockchain (qui résout le problème de confiance et d’authenticité) ou le mouvement #nocode, il y a de moins en moins de friction sur le marché. Si on suit le théorème de Coase, la taille optimale des entreprises a donc diminué. Finis les énormes conglomérats de plusieurs milliers d’employés, les startups peuvent rivaliser avec les plus gros acteurs du secteur en limitant leur nombre d’employés.1

L’entreprise se retrouve atomisée : seul le noyau dur nécessaire à la proposition de valeur reste, le superflu est éliminé ou externalisé.

Cette tendance ne va aller qu’en s’accélérant. L’âge de l’entreprise est révolu, on se dirige vers une nouvelle ère où, comme nos ancêtres les chasseurs-cueilleurs, chacun travaillera d’abord pour soi.

La naissance des organisations flash

Une organisation flash est un terme créé par des chercheurs à Stanford pour décrire une organisation virtuelle centrée autour d’un projet spécifique. Rapide à mettre en place et modulaire, elle peut accéder aux talents du monde entier.

Aucun projet ne sera plus limité dans le temps ou dans l’espace.

Ces organisations flash permettront à des petits groupes d’individus de collaborer sur un projet créatif 2, de créer quelque chose ensemble, et gagner de l’argent avant de se séparer pour aller bosser sur le projet suivant.

Le futur ne s’organisera pas autour d’entreprises, mais de projets.

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1 C’est ce qui s’est passé en novembre dernier, quand PayPal a racheté Honey pour 4 milliards, alors que la startup venait à peine de dépasser la barre des 200 employés. Ou en 2014, quand Facebook rachetait WhatsApp et ses 55 employés pour 19 milliards. L’exemple le plus frappant reste Instagram, racheté par Facebook deux ans plus tôt pour 1 milliard. Le nombre d’employés d’Instagram à l’époque ? 13.

2 Le seul type de projet intéressant pour l’être humain, quand toutes les machines s’occuperont des projets répétitifs, sans valeur créative ajoutée.

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